PIERRE VASSILIU en VOYAGE

Pour Pierre Vassiliu, ‘Voyage’ était le titre d’un album et une philosophie de vie. Voyager, c’était pas les vacances ou le repos. C’était des rencontres, de nouvelles musiques et parfois la vie tout simplement. Son œuvre s’est nourrie de ces expériences autour du monde, sa carrière lui a permis de poser le pied sur chaque continent­. Mais ses plus beaux voyages, il les a faits dans les studios d’enregistrement.

«Mes parents sont arrivés comme ça, sur une plage, avec un camping-car. Ils se sont posés et on est resté des années.» Assise au bord d’un lac à Sète, Léna Vassiliu raconte comment ses parents, Pierre et Laura, ont choisi un coin vide de la région de Casamance pour gagner quelques années à s’aimer au soleil. Légitime enfant du voyage, elle a été conçue au Sénégal. A l’époque, sa maman disait: «Je veux accoucher debout en tenant un arbre, dans le bois sacré où seules les femmes peuvent entrer!». Aujourd’hui, sa maman ajoute: «Pierre n’était pas chaud, on a fini dans une clinique à Dakar.» Laura Vassiliu vit toujours à Sète, dans le même appartement qu’avant. Le dessin original de Folon pour la pochette de ‘Voyage’, encadré dans le salon, intensifie le spectre de Pierre. Laura se souvient bien des beaux moments et les voyages en font partie. «Y avait pas que les moments qui étaient beaux. Pendant les voyages, lui aussi était plus beau.» Ça lui faisait du bien, à Pierre, de tourner le dos à la France probablement déjà moche, tourner le dos à l’industrie du disque volatile et mercantile, tourner le dos aux familiers qui reconnaissaient sa moustache mais pas son talent. Voyageur par obligation dans sa jeunesse (l’Algérie et sa guerre), il devint voyageur par goût et acquit le goût des autres, indispensable à quiconque veut trotter autour du globe. Il voyageait aussi par nécessité. Quand ça souriait moins, un bateau, un avion, salut les cons. Tous ces voyages, il les a ramenés dans ses chansons.

«Chaque fois qu’on voyageait quelque part, on était attiré par la musique. Pierre prenait le rythme du pays où on était et trouvait une chanson.» Laura Vassiliu

1968 ~1974

1967, Rio de Janeiro. Vêtu de blanc, Eddie Barclay cherche des artistes pour son label. Il tombe sur le trio Camara et leur chanteuse Tita Lobo, la trouve incomparable et les convie à Paris graver un disque. A St Germain des Prés, ils deviennent les branchés du moment, Pierre Barouh leur propose de sortir un 33tours instrumental sur son label Saravah, il sera enregistré au studio Davout par Yves Chamberland, qui à son tour propose au trio de créer le premier album de bossa en français. Une bande de chanteurs et d’auteurs se monte autour du projet ‘Les Masques’: Anne Vassiliu, Nicole Croisille, des membres des Swingle Singers et Pierre Vassiliu. Pierre chante à l’unisson sur trois chansons et en solo sur une, qu’il a écrite: ‘Initiation’ où il cherche ce qui se cache derrière les lieux communs sur le Brésil. Alors en pleine remise en question de sa carrière dans l’humour, il montre sur ce disque aux chanteurs masqués une facette authentique qui amorce le virage vers une musique personnelle.

Sa sœur Anne lui présente la bande à Bernard Lubat, Bloch-Lainé, Berteaux et Claude Engel. Ce dernier sort avec Anne, ça les rapproche. C’est lui qui a l’idée d’une chanson brésilienne pour le single de 1973, ‘J’ai trouvé un journal dans le hall de l’aéroport’. Le percussionniste Emmanuel ‘Pinpin’ Sciot en était: «Il y avait tellement d’idées et d’inspiration. La chanson passe par des phases très différentes. Le passage des chœurs, quelle galère, on manquait de pistes. Les harmonies étaient inspirées par Crosby Stills & Nash, la musique venait de Bach. Nos héros s’appelaient Maurice Ravel et Claude Debussy.»

1975 ~ 1978

Premier effort après le foudroyant succès de ‘Qui c’est celui-là’, ‘Voyage’ sort en 1975. Il est rythmé par les secousses d’un train qui zigzague entre variétés, rythmes latins et jazz-funk inspiré de l’album de Herbie Hancock ‘Headhunters’, comme le prouve ‘Pierre bats ta femme’, un morceau au groove ricain, habillé de slaps de basse et de Clavinet (signé Georges Rodi) détonant un peu avec le thème du mari abandonné. Chronique de la vie ou prémonition, son couple avec Marie explose peu après, Laura est déjà dans son cœur. Il prend le large, son succès l’encombre. Mais poussé au cul par la maison Barclay, il tente de pondre un nouveau tube Brésil: ‘Tais-toi’, suivi de ‘Qu’il est bête ce garçon’, nettement plus réussi, en 1977. Laura y est présente, c’est elle qui répète la phrase-refrain. Ces singles n’auront pas de succès.

En 1978, il a changé. Auprès de Laura, il se sent rajeuni. Presque vingt ans les séparent. Son entourage musical bouge: Denis Van Hecke, le violoncelliste avant-gardiste belge, s’impose. Suit une bande de jazzeux hétéroclites contenant un pianiste martiniquais et des proches de Gong. A leurs côtés, Pierre se lâche dans l’improvisation, la voix qui aboie, les paroles qui ne riment plus. L’album s’appelle ‘Déménagements’, sur la pochette on le voit avec Laura, leurs enfants respectifs et leur camion. Pas un camion pour déménager, un camion pour vivre. «On l’avait transformé en camping-car, raconte Laura. Un copain nous avait fabriqué un faux permis poids lourd. On adorait ce camion. On était toujours en voyage. La bougeotte éternelle.» Le morceau d’ouverture, ‘L’oiseau’, voyage sur les terres de la poésie jazz et offre un trip halluciné à l’intérieur de son moi. Mais l’album sera son chant du cygne chez Barclay. Pas assez de succès.

«J’ai écarté mes ailes et sans parler à mon ombre, j’ai crié si fort que mon cri m’a devancé, me laissant sur place dans une nouvelle solitude.» Pierre Vassiliu (‘L’oiseau’)

1979 ~ 1980

Un autre label l’attend, RCA. Cette renaissance marque les débuts de Vassiliu l’africain. Au début, ce sont des voyages, bientôt il y vivra vraiment. Son nouveau disque, surnommé «la piscine» en référence à la pochette signée Daniel Authouart, est empli d’Afrique, et encore de reggae pour faire plaisir à sa jeune Laura, de progressif et d’impro. Denis Van Hecke constitue les fondations d’un nouveau groupe et invite son partenaire habituel, le clavier belge Frank Wuyts: «On était un groupe d’impro jazz free, on expérimentait, on travaillait avec des bandes. En studio, j’ai écrit des petites choses pour les chansons, j’ai été surpris de découvrir que Pierre m’avait crédité arrangeur.» L’Anglais Geoff Leigh: «Pierre nous a invité dans le midi enregistrer ce disque chez lui. L’ambiance était cool, sociable, il y avait des visites, des filles qui faisaient à manger, du vin, des drogues. Notre son, ce n’était pas la culture de Pierre mais il nous laissait faire. Une générosité magnifique. Il montrait les accords, chantait un peu et on improvisait.» La clarinette de Leigh et les percussions du camerounais Sam Ateba, hantent ‘Mange pas les bras Bokassa’, un titre cruel sur les touristes français qui viennent voir l’Afrique en évitant les salissures. Des types qui donnent leurs restes aux chats de l’hôtel sans un regard pour les enfants affamés derrière la grille.

On sent Pierre bien déprimé en 1979. Les voyages en Guadeloupe avec Laura l’adoucissent et inspirent de nombreuses chansons, notamment le single ‘Maryline’ et sa face B inédite ‘Fais-moi savoir’, hybride rock en français chaloupé Dom-Tom. Il trouvera sa place dans les concerts du début-80s, période ‘chaque titre part en impro’. Anne Vassiliu est souvent aux chœurs: «Parfois on était plus nombreux que le village où on jouait. Sur scène, Pierre parvenait à faire des choses qu’il ne savait pas faire sur disque, et le contraire était vrai aussi. Il nous arrivait (avec Laura) de chanter seins nus, le torse peint par Denis (Van Hecke), ou, avec Pierre, de rater notre entrée en scène parce qu’on fumait le pétard en coulisse. On était raides, on se collait au micro pour pas tomber. Chaque soir on devait souffler dans des bouteilles pour l’intro de ‘Tarzan’ (‘Il était tard ce samedi soir’), le morceau était tellement long qu’un musicien défoncé s’est évanoui!»

1981 ~ 1982

«Il débarquait, crade, râlant comme une bête sauvage, il était négatif, écœuré par le métier, se méfiait de chacun… RCA perdait conscience de son talent.» se souvient l’ex-attachée de presse, Brigitte Berthelot. «Travail, pour lui, c’était une insulte. Il était capable de ne pas venir sur une promo ou d’inviter quinze personnes à nos frais. Mais quand je venais le chercher en voiture, il m’attendait avec un cadeau pour mon fils.» Grâce à elle, il a la classe en veste blanche, un Melodica à la main, en train de chanter ‘Spiderman’ à la télé en 1982, une petite comptine des îles écrite sous la dictée de son fils Clovis sur l’album ‘Le cadeau’, qui a dû vivement désarçonner les chroniqueurs de variétés.

Juste après paraît un nouveau single, ‘C’est chaud l’amour’ et sa face B ‘Viens ma belle’, version contemporaine de ‘En Vadrouille à Montpellier’, invitation à un voyage urbain de bar en boîte se terminant dans un taxi parisien trop lent pour assouvir son envie de baiser. C’est le début d’une longue collaboration avec deux gamins: David Salkin et François Delfin. Ce dernier, guitariste, est l’auteur de la mélodie de ‘Viens ma belle’, jusque là utilisée en intro des concerts. Salkin est un ami de Dimitri Vassiliu (le fils), il a quinze ans la première fois que Pierre l’invite à jouer. « Il se régalait de nous écouter, nous offrait toute liberté. Malgré les soucis d’argent, il générait autour de lui des moments de fête, des tournées fantastiques. Un éternel bon vivant. Il m’a payé un djembé, le soir même j’en jouais sur scène. Il m’a confié la co-réalisation de ses disques (83/87). J’ai pu fréquenter des musiciens qui m’ont mis les poils, notamment Jim Cuomo» (clarinettiste sur ‘Viens ma belle’, entendu chez Pierre Barouh ou Marianne Faithful ‘Broken English’).

«Il n’avait pas envie d’être dans le système mais voulait en profiter.» Brigitte Berthelot

1983 ~ 2003

Viré de RCA, Pierre multiplie les voyages en Afrique et ça s’entend dans son nouveau disque, ‘Roulé Boulé’, qui déborde de percussions, koras et musiciens locaux. David Salkin: «Il était à fond, il avait aussi des danseuses. La world n’était pas encore à la mode, il était l’un des précurseurs, il l’a fait découvrir à tellement de monde. Le public qui allait le voir en concert ne s’attendait pas du tout à voir des Africains.» Musique noire et paroles noires, sur ‘Noix de cola’ Pierre rapporte l’histoire d’un jeune qui quitte son village pour la capitale et se fait tout voler sur la route, avec en conclusion un dilemme.

Dans la vraie vie aussi les nuages noirs arrivent: après un seul album sur CBS il est à nouveau remercié et doit rétrograder en label indépendant. Suivi d’un drame familial. C’est le début des très longues pauses au Sénégal. Envie de tendresse au soleil. L’amour renaît, Léna naît aussi, les Vassiliu reprennent un bar musical à Dakar, le Mamyflor, et Pierre écrit sur un cahier d’écolier ce qui deviendra ‘L’amour qui passe’ (1987), pochette ‘branchée’ et arrangements ‘modernes’. On y trouve le seul morceau afro-beat de Vassiliu, ‘Ça va ça va’, avec Tony Allen à la batterie, comme chez Fela, et l’évocation érotique d’une sorcière noire. Malgré la photo célèbre de Pierre en blackface, le disque ne vend pas assez et les labels des prochains CDs seront de plus en plus confidentiels.

Début 2000, la carrière discographique de Pierre semble à l’arrêt. Il faudra la force d’une poignée de fans dans sa ville, Mèze, pour permettre le financement d’un ultime album: ‘Pierre Précieuses’, mêlant Afrique, Guadeloupe, Amérique Latine, une reprise de Montand, une track “techno” et un folk dans lequel il incarne un fou. Son ami Patrick Robine: «’Pierre Précieuses’ était un compte-rendu définitif, un pot pourri de sa vie de voyages. Jusqu’au bout il a voulu transmettre la farce, la complicité, la malice. C’était un malicieux.» La chanson éponyme ‘Moustache’, issue de son goût pour la musique maloya réunionnaise, fournit une définition du travail qui le résume bien.

2014

Patrick Robine, qui a partagé de nombreux voyages avec Pierre, nous livre quelques secrets: «C’était la glande mais les journées étaient riches. Il attirait les aventures. On montait en voiture, il se passait un truc. Un nez pour dénicher des endroits fous qui n’avaient l’air de rien! On n’avait pas besoin d’aller loin, on rencontrait des gens, on voyageait à travers eux. Il aimait aussi s’asseoir au bout des pontons.»

Laura Vassiliu vit aussi avec ses souvenirs du Sénégal. Elle les ravive dans ses sculptures en terre cuite. «C’était le seul pays, disait-il, où il n’y avait pas de galère. A la fin de sa vie, il voulait repartir et y mourir. J’ai pas osé. Je regrette beaucoup. Je ne savais pas ce qu’était Parkinson. Je pensais qu’il fallait rester à côté d’un docteur. En fait ça ne servait à rien. Si je l’avais su à temps, je l’aurais emmené pour qu’il meure tranquille. C’était dur, la fin. Il ne pouvait plus jouer, il ne pouvait plus écrire, il devenait mince… Quand j’ai rencontré Pierre, j’étais mariée, j’avais 21 ans et deux enfants. Ç’a été un coup de foudre très emmerdant. Je pensais vivre une aventure avant de rentrer, mais non. Loupé! Pourtant personne n’y croyait.»

GUIDO CESARSKY/Voyages (2019) BORN BAD RECORDS

Merci à Laura Vassiliu, Léna Vassiliu, Anne Vassiliu, Brigitte Berthelot, Geoff Leigh Patrick Robine, David Salkin, Emmanuel Sciot, Frank Wuyts, Rémi Carémel, Catherine Philippe-Gérard, David Hadzis. Chaleureux saluts à Marie, Sophie, Clovis, Dimitri, Mélody et toute la famille Vassiliu. Bisous à mes familles Acid Arab, Crammed, Wart, XL, Psikopat et Viroflay. À Charlie.

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PIERRE VASSILIU – FACE B – 1965/1981
«Qui c’est celui-là?» Beaucoup de Français se sont posés la question au moment où la chanson du même titre commençait à péter le score aux charts de 1975. Quelques autres avaient déjà des éléments de réponse: c’est celui qui chantait ‘Amour amitié’! C’est celui qui chantait ‘La femme du sergent’! C’est celui qui chantait ‘Armand’ au Petit Conservatoire de Mireille! Pour tous ces Français, Vassiliu a toujours été réduit. Ils sont peu nombreux, les vrais fans, à avoir fait le tour et pris la dimension du mec.
Le mot est affreux, mais Vassiliu, c’était un poète. Le mot est pire, c’était un baladin. Il se baladait partout dans le monde et ramenait des mots, des sons, des instruments, des sentiments. Chez lui la rime n’était peut-être pas très riche, l’instrumentation pas trop luxuriante, la production assez arrangeante, le timbre assez peu exigeant, mais vous pouviez être tranquille: la chanson allait être choyée. Quelqu’un d’autre s’en serait occupé, ça aurait été pire. Pour faire du bon Vassiliu, fallait être Vassiliu. Le problème, c’est que tout cela ne fut que succession de malentendus. Car il tentait sans cesse de reconfigurer sa carrière, passant de chansonnier à chanteur pas niais, de chanteur tendre à comique, à poète beatnick, à ethno-artiste, à gérant de salle, à pilier de scène, à pilier de bar.
1961, Pierre Vassiliu, cavalier et photographe de guerre, se lance avec son frère Michel (auteur) dans la chanson. Leur choix: le comique. Jeux de mots, voix rigolote, tsointsoins et flonflons. Ô chance: ça marche. Sur un premier malentendu, on le catalogue provocateur: sa chanson sur les militaires est censurée à la radio, elle ne passe qu’à minuit passé. Il n’en faut pas plus pour faire le buzz. Georges Brassens l’adoube et écrit quelques lignes élogieuses sur son premier 45tours, Vassiliu est lancé. Mais les rimes en “ule” pour faire marrer les beaufs, ça va cinq minutes. L’impertinent se met à poser des chansons douces sur ses singles, comme ‘Le manège désenchanté’ en face B d”Ivanhoé’ en 1965. Il participe aussi à l’aventure franco-brésilienne des Masques, album devenu culte trente ans plus tard. Eddie Barclay l’apostrophe un jour: «Toi, c’est la douceur. Pas la gaudriole. Viens chez moi, tu pourras faire ce que tu veux.»
En quelques semaines c’est réglé, arrivent trois 45 et un premier album chez Barclay: ‘Amour amitié’. Il s’y dévoile sensible et très généreux en histoires sur lui-même. La première personne est à l’honneur sur la majorité du disque. Il met sa vie en scène dans ‘On imagine le soleil’, avec Catherine Philippe-Gérard dans le rôle chanté de son épouse Marie, où il tisse le fil de ses souvenirs de couple, ou dans ‘Une fille et trois garçons’, fantasme sur un ménage à trois hippies dans leur salon.
Marie Vassiliu se souvient: «A cette époque, on a trouvé à Gouverne une vieille ferme pourrie dans laquelle il a fallu faire plein de travaux. Il était plus tranquille pour écrire des choses mieux, des poèmes. Là, il a commencé à faire la fête, beaucoup, et il s’occupait du [café-concert] Bilboquet. Après on a perdu un copain, tué en avion. On a morflé. On est partis à Apt, dans une maison où on a fait une piscine, pleine de gens en permanence, Barclay, Folon, Maria Schneider et sa copine… Boby Lapointe est passé un jour nous saluer, on lui demandait “Comment ça va?”, il répondait “Oh bah moi, j’ai un cancer, je vais mourir.”»
Pierre se lie d’amitié avec un groupe de musiciens (Bloch-Lainé, Engel…) que l’on retrouvera sur les disques à venir. Il développe son goût de la scène en utilisant l’improvisation, et finit par passer de l’autre côté en ouvrant des lieux, des salles, des bars, des restaurants — jusqu’à la fin de sa vie. Peu de succès pour cet album, ni pour les singles suivants, y compris ‘Marie en Provence’, dont les paroles choquent Marie (elle y passe pour la bonne poire de service) qui, du coup, fait ses valises. Pierre crée alors ‘Ne me laisse pas’ pour la face B et Marie revient. Pas de succès non plus pour le second album ‘Attends’, qui contient ‘En réponse à votre lettre du 2.11.72’ où il salue ses copains. Il perd la confiance de Barclay et n’a plus le droit d’enregistrer que des singles, en quête de hit. Parmi ceux-là, ‘Je suis un pingouin’ ou ‘Il était tard ce samedi soir’ et sa face B désormais mythique ‘En vadrouille à Montpellier’. Encore trois 45tours, et enfin, LE malentendu suprême: ‘Qui c’est celui-là’. Comme il le chante dans la chanson-autobio ‘Encore un jour qui passe’, «Ce disque, je l’avais fait surtout pour l’autre face.» C’est-à-dire ‘Film’, inquiétant boogie où Pierre narre en talk-over une visite au bois de Boulogne avec putes, travelos, flics, qui termine au petit jour sur l’apparition lumineuse de l’amour, rythmé par un mantra: «Je cherche encore une fille qui voudrait bien de moi ce soir un quart d’heure.» En complément de cette pépite, le groupe a l’idée d’adapter vite fait bien fait un morceau brésilien rapporté d’un voyage, les paroles sont torchées dans un coin, avec l’aide de Marie: «Il avait écrit au départ ‘Qui c’est cette fille-là’, c’est moi qui l’ai poussé vers ‘celui-là’, car ça ressemblait plus à la sonorité d’origine.» Barclay envoie le single aux radios. Surprise, deux grosses antennes répondent la même chose: la face B est parfaite, ils la prennent. À Barclay, on capte le message: ‘Qui c’est celui-là’ devient la face A et Pierre Vassiliu devient un rigolo. Il s’en vendra des millions, et le label improvise un album constitué des précédents 45tours.
S’ensuit une période sombre où il est déchiré entre l’ivresse et la vanité du succès, entre l’amour qu’on lui porte et les raisons qu’on lui donne, entre Paris et la Provence, entre sa femme et les autres. Marie, trop souvent abandonnée et saoulée par l’égocentrisme, s’en va pour de bon, lui s’enfuit en Inde, s’y perd, se réinvente et enchaîne trois albums dark et légers. Il y chante l’humanité en déliquescence, l’alcool destructeur, les banques toutes puissantes, les touristes qui piétinent la misère en Afrique, séparation, solitude, voyages et déménagements. Mais aussi ses enfants, un chien, un oiseau, un pharaon, les femmes. Ainsi sur son album de 1976, il chante un hommage à sa fille, ‘Sophie’, et une triste poésie sur la Terre, ‘Alentour de lune’. Un LP épatant, enregistré en duo chez Georges Rodi, grand sachem du synthétiseur, barricadés et sous coke. Ces trois disques sont des échecs qui concluent son passage chez Barclay. En privé, tout va bien, sa nouvelle femme lui donne un coup de jeune, bien qu’il ne s’éloigne pas de Marie: «Laura était déjà à la maison quand je suis partie pour de bon, il était enfin libre de vivre avec elle. Mais à chaque dispute, il revenait. Avec [son second mari] Eric, ils parlaient des heures… mais jamais des problèmes d’Eric.»
Cette période Laura est marquée par une baisse de créativité chez le chanteur, ainsi que par l’irruption de l’Afrique dans sa vie. Les labels se succèdent, mais le succès s’est fait la belle. Son fils Clovis décrit cette fin de carrière: «Il a tellement écrit qu’à la fin il tournait un peu en rond. Il gagnait surtout sa vie en faisant des concerts, comme un véritable artiste, pas en vendant des albums. Il n’a jamais trop vendu. J’ai un souvenir d’enfance de lui qui appelle son impresario au téléphone pour connaître les chiffres de vente de son dernier disque. Il raccroche, l’air triste. Mille cinq cent copies. Ce n’était rien. Après les années 80, il n’y avait plus rien. Et pourtant il faisait au minimum cent concerts par an. Un de ses agents, qu’il surnommait Madame Soleil, me disait: “Ton père, j’ai jamais vu un mec qui fait autant d’efforts pour saccager sa carrière.”» Sur son album de 81, on trouve ‘Est-ce qu’on peut voler’, basée sur un dialogue avec Clovis, enfant, qui pose sur la pochette. «Je me souviens de cette discussion, mais je n’ai découvert la chanson que sur l’album. De même, je me souviens quand on a pris la photo mais il ne m’a pas dit que ce serait pour la pochette. Peut-être était-ce sa façon de me faire un cadeau. En plus l’album s’appelle ‘Le cadeau’.»
Dans les années 90, sa musique prend une tournure sud-américaine. Il ne sort quasiment plus rien jusqu’à 2003. «Il voulait s’amuser. C’était même devenu plus important que la composition. J’ai de moins en moins de souvenirs de lui jouant de la musique. Sur la fin, il préférait faire le con et se bourrer la gueule. Pourtant il a fait ‘Pierre Précieuses’, qui n’a été tiré qu’à 5000 exemplaires, coproduit par des amateurs par le biais d’une assoc» détaille Clovis. C’est là que figure ‘Dis-lui’, que l’on fait découvrir à Marie, chez elle en 2016. Attentive de bout en bout, elle commente avec émotion: «Il semble à la rue complet, mais il joue bien sûr. Il se sert de tout, tout le temps, tout ce qui se passe, dans sa vie, dans la vie de ses copains, dans la vie de ses enfants, de sa femme, de ses femmes… Alors c’est génial, mais… Je ne m’attendais pas à ça. » Pierre Vassiliu meurt des suites de la maladie de Parkinson en 2015. Clovis: «En fait c’était un véritable artiste. Même si je n’ai jamais voulu l’admettre quand j’étais môme. Il y a quelque chose de noble. Ça, je l’ai découvert à l’âge de vingt ans, pas avant. Je ne voyais pas le côté créatif, le côté artiste, le côté profond quoi.» Un malentendu. Bien entendu.
Guido/26/01/2018 http://www.bornbadrecords.net/releases/bb100-pierre-vassi...

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Le son du jour: désenchanté comme Pierre Vassiliu
Parce que le regretté auteur de «Qui c'est celui-là ?» n'en finit plus de revenir par la petite porte – et la grâce d'une œuvre formidable et largement méconnue –, le label Born Bad lui consacre une anthologie étonnante, idéalement titrée «Face B». Ecoute intégrale avant sa sortie, le 2 février.
Pierre Vassiliu, en 1973. Photo Jacques Chevry. AFP
Qui erre sur Internet dans la zone qui entoure le nom de Pierre Vassiliu s’expose à quelques sévères déconvenues, par exemple un extrait d’une émission de Stéphane Collaro datant de 1989 (Y a-t-il encore un coco dans le show ?) dans laquelle le chanteur, manifestement en bout de course, se débat dans quelques sketches parmi les pires de la création télévisuelle des années 80. D’autres fragments audiovisuels sont tout aussi plombants mais plus éclairants, telle cette apparition dans une émission de 1974 présentée par Jacques Martin dans laquelle l’animateur présente «son ami» en expliquant qu’il «a un tube». Vassiliu, accablé et assez hilarant, rétorque alors un «oh oui» d’une mélancolie si intense qu’on se dit qu’il pourrait tout expliquer sur son parcours, à commencer par la malédiction qui commençait tout juste à peser sur ses épaules et qui l’accablera jusqu’à la fin de sa vie en 2014 puisque, même chez Libération, personne ne trouva de manière plus pertinente d’honorer sa longue, belle et triste carrière qu’en empruntant son titre à la chanson coupable de la plus grande méprise à son sujet, Qui c’est celui-là ?
La scie idiote et délicieuse, tube effectivement inoubliable de la France giscardienne, avait en effet beau emprunter sa mélodie à une merveille sambiste de Chico Buarque et l’adapter avec un amour infini – souvenons-nous que Vassiliu avait participé en 1969, avec sa sœur Annie, au remarquable projet bossa francophone les Masques –, elle condamna pour de bon le chanteur aux limbes de la chanson d’humour où zonent Carlos et Patrick Topaloff, quand Vassiliu se battait précisément contre sa maison de disques Barclay, qui ne daignait plus sortir que ses chansons "rigolotes".
Qui c’est celui-là ? ne figure pas au tracklisting de Face B 1968-1981, ingénieuse anthologie concoctée par Born Bad et Guido Cesarsky (DJ, homme de fer de la nuit parisienne et moitié du duo Acid Arab) qui ne présente que des classiques adorés des «vassiuliuphiles». Pépites oubliées au milieu d’albums méconnus (Amour amitié, Voyage, le Cadeau…) ou singles cultissimes d’une ère révolue pour de bon, elles forment la face B d’une face A tristement embarrassante que Vassiliu a portée sur ses épaules toute sa carrière comme un fardeau, comme Nino Ferrer trimbalait son Mirza ou Katerine traîne encore son Louxor.
Comme pour la plupart des artistes, c’est bien sûr dans cette face cachée que se tapit tout l’or du chanteur, notamment sa grande invention de récit imbibé en parlé-rappé-chanté qui se déploie en majesté dans En Vadrouille à Montpellier de 1974, longue complainte immorale étonnante d’intensité sexuelle, ou le classique Film, conte en flux de conscience d’une errance «beurrée» dans les allées du bois de Boulogne à la recherche d’une prostituée. Accompagné des cadors de la variété de l’époque (l’ex Magma Claude Engel, Olivier Bloch-Lainé, Georges Rodi), Pierre Vassiliu élaborait alors une œuvre ahurissante d’audace, d’intensité et d’invention, dont on se pince souvent de réaliser qu’elle s’est épanouie dans l’ombre de la variété française et d’une chanson sympa sur un mec «complètement toqué, complètement gaga». Vassiliu, bien entendu, c’était beaucoup plus que ça. Un pionnier et un «poète», par exemple – même si, comme l’explique Guido Cesarsky dans les notes de pochette rédigées pour la compilation, «le mot est affreux». Avouons qu’on en a connu des pires.
Face B 1965 - 1981 sort le 2 février chez Born Bad. Libération est très heureux de vous proposer de l’écouter en avant-première dans son intégralité.
Olivier Lamm/Libé 24/01/2018

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Petit article de presse publi dans un magazine de 1964

Souvenir de la période Apt

Joli cadeau pour les gens qui ont un goût exquis et aiment donc Pedro!
Pour tous ceux qui n'ont pu se procurer la publication du Francofan N°52 (http://www.francofans.fr)

Nous avons eu sa permission de reproduction de la double page consacrée à Pierre Vassiliu
Merci à Sam Olivier, Céline Pibre pour les illustration, Léna Vassiliu pour la photo de son Papa.

Entretien avec Pierre VASSILIU par Ivan PEREY paru dans le n°85 du « Petit Format » la revue des adhérents du Centre de la chanson en octobre 2006 à l’occasion de la sortie du livre « Qui c’est celui-là ? »
Chanteur atypique et grand voyageur, Pierre Vassiliu se raconte dans un livre (Pierre Vassiliu , Qui c'est celui-là ?, Editions n°1).


Une ballade autobiographique où l'on croise Johnny Hallyday, Jacques Brel , Georges Brassens, Boby Lapointe, Baden Powell… et aussi des chevaux , des maisons d'amour, des voyages … et des chansons .
Rencontre avec cet étonnant personnage quelque part dans le sud de la France .
Le titre de votre livre " Qui c'est celui-là" , c'est une formule magique ?
C'est l'éditeur qui a choisi le titre . Moi , j'avais une autre idée .
Le titre fait référence bien sûr à une chanson qui a été votre plus gros succès .
Oui . C'était prévu pour une face B . Et puis , elle a été un succès énorme . Je viens encore de l'enregistrer en portugais .
30 ans après , elle passe toujours à la radio , mais les derniers disques passent moins .
Ils ne passent pas du tout . J'en ai fait 17 depuis . Et je continue . C'est un plaisir d'écrire et d'enregistrer . Mais c'est le service après-vente qui est épuisant .Je me suis beaucoup investi dans mon dernier disque ( " Pierre précieuses " ) et on n'en parle pas ..Il a été produit par une bande d'amis . C'était un gros travail .
C'est peut-être du à une mauvaise distribution ?
Non, c'est les radios , les télés. Ils ne me passent plus . Comme ils ne passent plus un tas de gens . Tout est planifié …Moi je ne me plains pas trop . Je suis heureux comme je suis . J'existe encore parce que je suis un retraité du showbiz … mais j'ai des petits regrets des fois.
Mais si on vous invite à la Star'Ac , vous y allez ?
Peut-être . Je suis peu reconnu par mes pairs donc.. j'irai .C'est une émission où on peut chanter …
Le marché du disque est en plein bouleversement avec internet aujourd'hui . Vous avez connu les grandes maisons de disques comme Decca, Barclay, RCA…C'était une autre époque .
Les meilleurs souvenirs , c'est chez Barclay .On travaillait dans de très bonnes conditions . C'est là que j'ai connu mes plus grands succès . Mais on m'a viré quand même, plus tard, en même temps que Nougaro .
Vous êtes un des rares à avoir chanté des chansons très paillardes , celles-ci étaient interdites à la radio …
Oui , pourtant beaucoup de gens se souviennent de certaines comme En vadrouille à Montpellier , parce que les boites de nuit la passaient après 4 heures du matin …Quand on danse sur cette chanson , on s'en souvient toute sa vie .
Vous avez fait aussi de très jolies chansons tendres comme Amour Amitié . Yves Duteil a dit un jour que c'est une chanson qu'il aurait aimé écrire …
Jean-Loup Dabadie l'a dit aussi . Ça fait plaisir …J'avais écrit ce morceau en pensant à Nicole Croisille . J'explique tout dans mon livre .
Vous me faites un peu penser à ces joyeux cancres du fond de la classe qui jettent des boulettes mais qui peuvent aussi épater la maîtresse avec un joli poème .
Oui, c'est un peu ça. En fait , je ne suis pas tellement un rigolo . Quand j'ai débuté , on me qualifiait de " Comique troupier " , ça me plaisait pas trop .
Une grande partie de votre livre est consacrée aux voyages . Est-ce que ces nombreux voyages n'ont pas nui à votre carrière dans la mesure où vous étiez rarement en France pour faire la promotion de vos disques
Oui , bien sûr . Nougaro m'a dit quelques jours avant sa mort : " Notre liberté, on la paye cher ." Il avait raison . Déjà , je m'étais exilé dans le Lubéron à une époque où ça se faisait pas . J'avais Léonard Cohen comme voisin et Maurice Ronet . C'est tout .
Vous avez été un des premiers à avoir introduit des rythmes exotiques dans la chanson bien avant qu'on parle de World Music .
Oui, c'est à cause de Manu Dibango . Quand j'étais jeune , j'allais à la salle Wagram le dimanche après-midi , c'était un bal antillais . Manu Dibango avait son orchestre de bal . C'est là que j'ai percuté …
Vous reprenez des chansons du répertoire sur votre dernier disque comme L'étrangère et Mon pote le Gitan . C'est justement des chansons qui évoquent les voyages et les rencontres .
Oui, Mon pote le Gitan la chanson m'avait beaucoup touché quand j'étais môme . La liberté du gitan qui hausse les épaules devant le producteur ….J'adorais Mouloudji . Juliette Gréco aussi . C'est la première qui m'a appelé quand je faisais les cabarets pour que je lui écrive des chansons .Je me suis pointé chez elle . J'avais 20 ans . J'ai chanté mes chansons au pied de son lit dans mon petit costard . Elle prenait le petit déjeuner avec Françoise Sagan
Et Brassens ? Il avait mis un mot sur votre premier disque …
J'étais allé dans sa loge pour lui présenter mes petites chansons . Il était aussi timide que moi . J'ai une admiration sans borne pour la personne . Il m'a fait un mot très gentil .
Vous vous souvenez de votre passage à l'Olympia avec les Beatles ?
Oui. J'ai fait beaucoup de premières parties. Pour les organisateurs de spectacles , à l'époque , il en fallait pour tous les publics . Je suis passé souvent après des acrobates , ou des petits chiens … Moi j'adorais ça .
Vous avez des amis dans le métier ?
Pas beaucoup . Alain Bashung . J'étais très ami avec Eddy Mitchell mais je ne le vois plus . Je vois Johnny régulièrement .C'est un ami de 40 ans . Je lui ai écrit une chanson , mais il ne l'a pas prise .
Votre devise ?
Tenter de vivre la vie qu'on souhaite .
Et alors ?
Ça va . Je viens de passer deux semaines en Casamance, au Sénégal. Et là, d'où je suis , je vois la mer . Donc, tout va bien
Ivan PEREY

Ça ne facilite pas les choses d'être cool, de passer sa vie "à rien faire" pour percer dans le show-biz. Résultat, à peu près personne ne connaît vraiment Pierre Vassiliu, alors qu'il le mériterait amplement. Quasi toutes affaires cessantes! Il a, fort heureusement, des curieux, des fouinards qui ont découvert l'immense bonhomme!
Une image de rigolo jovial lui colle à la peau, alors qu'il est bien plus que cela. Il a énormément d'humour, certes, mais il a surtout l'art de créer une émotion intense en quelques secondes.
Le "grand public" ne connaît bien souvent que son tube « Qui c'est celui-là ? », adaptation "sacrilège" d'une chanson engagée de Chico Buarque, le fameux musicien Brésilien. Dommage pour la culture...
Pierre Vassiliu cache bien son jeu : Il a été à la pointe des tendances World Music bien avant tout le monde : Avant tout le monde il est allé chercher l'inspiration au Brésil, puis en Afrique où il a vécu plusieurs années, puis, aux quatre coins du monde.
Aujourd'hui, il se dore la pilule entre Sète et Essaouira où il vit avec Laura, sa femme, non loin des enfants, entouré d'amis sincères. Il se méfie de Paris et du show-biz, et adore faire des petits concerts improvisés dans les bistrots du coin, même si l'âge le garde de plus en plus éloigné de la scène. Les dernières furent les immenses salles, les millions de spectateurs de la tournée "âge tendre et têtes de bois 2008/2009.
Mais ne vous y trompez pas : il a toujours un sacré carnet d'adresses. Si vous aviez encore la chance de voir l'affiche d'un de ses concerts, sautez vite sur l'occasion : il se produit en général dans des petites salles de quartier, ou dans des coins pourris, et c'est une véritable communion avec le public : Ce petit bonhomme rondouillet et moustachu se révèle étonnamment sincère, sensible, avec le rythme dans la peau et grand musicien.
Il invite en général des musicos de grande pointure, des africains aussi, et les met joliment en valeur, n'hésitant pas à les faire jouer en solo une bonne partie de son spectacle, prenant bien soin d'indiquer leurs noms.
Vous pensez assister au concert d'un artiste franchouillard de variété has-been, et vous vous retrouvez en voyage onirique à travers les continents, sur des musiques impressionnantes d'énergie et de sensibilité. Ce fan de Maurice Ravel, de Jazz et de Brassens, entre autres, aime les choses bien faites et, ça s'entend!
Sacré jemenfoutiste au niveau « gestion de carrière » ne le rend que plus sympathique !
Fouiner les vieux vinyls chez les disquaires, sur internet, vous verrez, vous écouterez! Pierre vassiliu a osé des trucs incroyables, chanté le sexe et la tendresse, l'amour et l'anarchie, la dérision avec un talent fou! Ce type est culte et il s'en fout. Nous, qui savons, nous l'aimons, tendrement.

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La dépêche du dimanche 8 juin 2003

Revue des spectacles dans "Sud-Ouest" 2003

Deux longs articles consacrés à la carrière de Pierre Vassiliu, parus dans le magazine "Juke Box" (voir l'entièreté dans "bio")

Article paru à l'issue du "festival du bout du monde" à Crozon, en 2002

Article paru en 1999 (source inconnue)

Article paru dans "Jurançon" en 1994

Article paru dans "MarseillePlus" en 2003

Article de source inconnue

Article paru en 1993, source inconnue

Couverture du magazine "Vinyl Musique hors bizness" N°3 de juin '95

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Photos du salon du livre de chansons de Randan en 2006. Pierre dédicaçait son autobiographie "Qui c'est celui-là?". Ici avec Ricet Barrier. Pierre était invité également en 2009

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Interview de Pierre par Alain Demecour


Les voyages, ou plutôt les aventures de Pierre Vassiliu sont souvent tissées d’anecdotes peu ordinaires. Pimentées ou sucrées, mais jamais fades !

Avoir Pierre Vassilliu comme ami ou copain est un vrai remède contre la morosité. Derrière sa célèbre moustache gauloise, se cache, sans vraiment se cacher d’ailleurs, un vrai croqueur de vie. Qu’il se raconte à travers ses chansons ou qu’il parle de ses aventures, ses yeux pétillent de malice et de gourmandise. Cet ancien apprenti-jockey, amateur de belles femmes et de bons vins, parle à brides abattues de sa vie dans son livre « Qui c’est celui-là ? », récemment paru aux Editions N°1, qui fait la part belle à ses voyages.

La passion de l’Afrique
Le déclic lui est venu lors d’un concert de Manu Dibango. Il avait 18 ans et les rythmes africains lui donnèrent alors l’envie de s’aventurer aux sources de la musique. L’Afrique est son deuxième pays, il a même vécu plusieurs années au Sénégal et habité un an dans une case sur la plage. Il a aussi tenu un club de jazz à Dakar, le Mamy flore, avec scène ouverte où sont passés entres autres Youssou n’Dour, Touré Kounda, Ismaël Lo. « L’Afrique c’est la douceur de vivre, l’artisanat, la musique, la danse, la dérision et la rigolade. » écrit-il dans son livre. Il s’étonne cependant que ce pays aux milles richesses reste en marge de la mondialisation, confronté aux épidémies, guerres, famines et autres génocides.

Pour lui, voyager n’est pas faire le tour du monde des palaces, bien au contraire. Son intérêt est d’être le plus près possible du peuple, de sa musique, de ses traditions, pour mieux apprécier le pays. Il préfère arriver la nuit, poser ses bagages et se mettre directement dans l’ambiance, fréquenter les petits bistrots. « Certaines villes prennent toutes leurs couleurs la nuit, surtout en Afrique, comme au Burkina Fasso », précise-t-il. « Un pays qui m’attire beaucoup, car il conserve toute son authenticité, encore épargné du toursime de masse. Les animaux sauvages y sont encore nombreux et préservés. »

A table avec Fidel Castro à Cuba
Le sac à voyages de Pierre Vassiliu est rempli de moments forts, certains même incroyables, telle sa rencontre inopportune avec Fidel Castro. Il était convié avec d’autres artistes à Cuba par le Parti Communiste Français, quand il se retrouva à table face à lui. Malgré leurs divergences de vues, ils se sont découvert une passion commune pour les grands vins. « Je ne partage pas les idées politiques de Castro, mais je lui reconnais un charisme fascinant. Cette rencontre m’a permis de mesurer l’aura exceptionnelle de cet homme, qui par ailleurs opresse son peuple. »

Pierre Vassiliu adore également voyager en bateau. « L’arrivée sur le Bosphore est un moment magique. Un voyage récent au Chili m’a fait découvrir les fjords, jusqu’à la terre de feu, Ushuïa, c’est inoubliable ».

Sensations fortes au Honduras
Autre pays, autre souvenir. En vacances au Honduras chez la sœur de sa femme Laura, dans une maison sur pilotis, où il a composé à la guitare une partie de son album « Parler aux anges ». Sensations fortes assurées entre araignées géantes, raie manta et crocodile, qu’il avait pris pour un tronc d’arbre !!!

Au fil du temps, Pierre Vassiliu s’est forgé une réputation de chanteur-baroudeur, avec plus de 50 pays au compteur ! L’Egypte et l’Inde l’ont fasciné. « Ces pays vous marquent à vie, on n’en revient pas indemne ! ».

L’envie de partir ou repartir est toujours présente, la flamme de l’aventure ne s’éteint jamais pour Pierre Vassiliu. ll suffit d’écouter ses disques pour partager son esprit voyageur. Ils sont autant de clins d’œil aux musiques des pays visités. Et sur scène, il aime pratiquer le métissage musical, Espagnols, Indiens, Sénégalais, Brésiliens, Réunionais, Gitans… ses musiciens sont de toutes les couleurs !

Petite conversation, entre deux voyages…

Vous semblez avoir des amis un peu partout dans le monde ?
Quand je vais dans un pays, je préfère arriver la nuit et me mettre tout de suite dans l’ambiance locale. Souvent, il m’arrive de prendre ma guitare et de me mêler aux musiciens. Ça crée souvent des liens. Et puis, je suis toujours près à faire la fête, où que je sois dans le monde.

Les voyages entretiennent votre éternelle jeunesse ?
En tout cas, les voyages comme je les pratique sont source de bonheur et bonne humeur. J’aime voyager simplement. A une époque je suis parti sans trop d’argent en poche et pour financer le voyage j’ai vendu des petites marionnettes sur les Remblas de Barcelone.

Un de vos grands souvenirs ?
La rencontre avec Laura, ma femme. Sans le savoir, je suis tombé amoureux d’elle avant de la connaître en remarquant une magnifique nana en couverture du magazine Vogue. Ce n’est que plus tard chez elle que j’ai retrouvé cette photo et découvert que c’était elle. C’est étonnant, car Laura a été miss Monde puis dauphine de miss Univers, et j’étais loin d’être très attiré par le milieu des mannequins. Mais il y a toute de suite eu une incroyable complicité entre nous car nous partageons la même passion de la fête et des voyages.

Une rencontre insolite ?
Celle avec Cassius Clay, dont je conserve un souvenir drôle et ému. C’était à Cuba où il se faisait soigner pour sa maladie de parkinson. Et à cause de cela, j’ai eu bien du mal à lui attraper la main pour le saluer.

Vous avez habité chez Coluche ?
Oui, c’était à mon retour d’Afrique, j’étais fauché et j’avais rencontré Michel chez un copain qui tenait un resto dans les Halles. Il m’a généreusement hébergé chez lui, avec mon épouse. L’ambiance était très drôle et chaleureuse. J’y ai croisé entre-autres Patrick Dewaere et Gérard Lanvin qui est devenu mon copain. Coluche était un type formidable, débordant d’humanité et de générosité.

Vous avez joué dans le film Périgord Noir. Envie de continuer à faire l'acteur ?
J’ai eu la chance de tourner dans le film de Nicolas Ribowski, avec Roland Giraud, Jean Carmet Odette Laure et Jacques Gamblin. Ça m’a permis de mieux connaître Carmet et Giraud, et j’en ai gardé d’excellents souvenirs. C’était une très belle aventure, mais ça ne m’a pas vraiment donné envie de poursuivre cette expérience cinématographique. Mais qui sait…

Vous semblez avoir gardé votre âme d’enfant ?
J’ai toujours envie de rigoler et de faire des bêtises. Une fois je suis rentré à la maison avec une super voiture hors de prix, et une autre avec deux chevaux andalous. J’ai toujours trouvé que l’argent, quand on a la chance d’en avoir un peu, était fait pour profiter de la vie. Quand j’en ai moins, je m’adapte !

Où auriez-vous aimé vivre ?
Actuellement je dirais le Maroc, en tout cas dans le Sud. Mais après avoir beaucoup voyagé, je trouve que la France est un merveilleux pays, mais je regrette quand même que sa politique ne soit pas à la hauteur.

Non rien de rien, vous ne regrettez rien ?
Pas vraiment, si ce n’est que de ne pas avoir profité d’avantage de mes enfants pendant les périodes où je tournais beaucoup, mais chacun a su prendre son chemin et maintenant on se retouve très souvent.

Toujours complètement toqué ce mec là, mais pas encore gaga ?
Peut-être un peu gaga quand même, ça commence à venir, doucement. Je n’écoute plus toujours ce qu’on me dit, comme les enfants !

Un tube comme « Qui c’est celui-là ? » ça rend la vie plus confortable ?
Oui, et même pendant une bonne quinzaine d’années et pourtant je n’étais qu’adaptateur car les paroles et la musique d’origine étaient de Chico Buarque. Pourtant simplement avec mes paroles, j’ai gagné beaucoup d’argent. Ce disque a été connu dans tous les pays francophones et il passe encore souvent en radio. Pourtant cette chanson était en face B, la face A étant « Cherche encore une fille » qui a aussi très bien marché.

Vos chansons préférées ?
Ce sont plutôt mes chansons tendres « Amour Amitié », « Dans ma maison d’amour », « Parler aux anges ».

Votre citation préférée ?
C’est une réflexion personnelle « Faites-vous la belle vie dont vous avez envie ! », car c’est ce que j’ai toujours fait ou du moins tenté de faire.

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Pierre Vassiliu, 66 ans, chanteur. Ecume sans amertume les salles des fêtes de sous-préfectures après avoir couru le monde grâce aux rentes d'un hit 70's.

Par Pierre Daum/Libé/juillet 2004

C'est la star de son village. Sur le port de plaisance : «Salut Pierre ! Ton bateau, tu le vends combien ?» A la terrasse du restau : «La forme, Pierre ? Je te mets la table du fond pour être tranquille ?» Lui : «C'est vrai, ici, les gens m'aiment bien. Ils sont contents quand ils me voient à la télé.» Avec son passé de champion du Top 50 banni des grandes scènes, Vassiliu aurait pu devenir aigri et triste. Dans sa belle demeure méditerranéenne, on rencontre un type drôle, imperméable à toute nostalgie. Ce soir, le chanteur prend l'avion pour Paris. Il passe sur Liberty TV, confidentielle chaîne du câble spécialisée dans la vente de voyages et les locations de villas. «C'est ma femme qui m'a poussé à accepter. Pour faire un peu de promo sur mon nouveau disque et aussi en profiter pour essayer de louer notre maison. Tous les deux, on veut retourner en Afrique.»

Installé depuis quatre ans à Mèze, village de conchyliculteurs au nord de l'étang de Thau, près de Sète (Hérault), Pierre Vassiliu a la bougeotte. A 66 ans, le voilà prêt à nouveau à tout quitter, direction le Burkina Faso. Mais avant, il a une tournée à achever. Avec des dates à Montbéron, Montréjeau, Villefranche-de-Rouergue et Cambieure. Bien sûr, ce n'est pas les Vieilles Charrues à Carhaix ni les Francofolies à La Rochelle. Financée par la Dépêche du Midi, cette tournée de seize concerts offre entrée gratuite et feu d'artifice à tout le monde. Lui n'en n'a pas honte : «Ça me fait plaisir qu'ils aient pensé à moi. C'est une tournée sur laquelle j'étais il y a vingt ans, je trouve ça sympa de renouer avec elle.»

Un has been, Vassiliu ? «Je serais prêt à gifler un mec qui dirait ça, menace Gérard Lanvin, vieux pote du chanteur à l'époque où l'acteur vendait des chaussures rue des Canettes à Paris. Les has been sont ces cons qui participent à des émissions de merde à la télé. Sortis du Loft, ils sont déjà out. Alors que Pierre, c'est un artiste magique, de la grande race des amoureux de la liberté.» Moins lyrique, mais tout aussi bon copain, Laurent Petitgirard, chef d'orchestre et président de la Sacem : «Pierre Vassiliu est l'exact contraire de ces artistes qu'on fabrique en deux mois à la télé. C'est un noble artisan du métier de la chanson, il possède le travail patient du luthier. Avec son tube Qui c'est celui-là ?, il a eu un grand coup de bol. Mais, même si sur un plan médiatique il n'a plus vécu une telle heure de gloire, il ne peut pas en être frustré, puisqu'il n'a jamais cherché à se placer dans cette catégorie.»

Paris, 1973. Un petit bonhomme à la grosse moustache et au nom étrange, pilier des clubs de la rive gauche, adapte en français Partido Alto, une samba du Brésilien Chico Buarque. Il en fait un hymne fantaisiste aux différences : «Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là...» La France s'enflamme. N° 1 au hit-parade pendant six semaines, 300 000 disques vendus en quatre mois. Pierre Vassiliu, les mêmes moustaches de Cosaque mais en plus grises, déguste son plateau de douze huîtres et rigole. «J'ai vécu une quinzaine d'années avec le fric de cette chanson.»

N'ayant jamais cherché la gloire, l'ex-star de l'Olympia sait se contenter d'un public fidèle qui remplit à chaque fois des salles de 400 places. Même s'il regrette parfois que «les radios oublient un peu trop de passer [ses] chansons», il se fiche éperdument de n'être plus qu'un nom évoquant vaguement quelque chose. D'autant plus que sa vie est une telle compilation d'histoires délirantes et rocambolesques que leur seule évocation suffit à donner du bonheur à chacune de ses journées. Surtout lorsqu'elles sont racontées dans la maison aux couleurs marocaines qu'il habite au bord de l'étang, sous l'oeil de Laura, son amoureuse depuis un quart de siècle.

Né en banlieue parisienne dans une famille bohème bourgeoise de l'entre-deux-guerres (père médecin immigré roumain, mère très musicienne), il se retrouve à 16 ans dans la rue, forcé de gagner sa vie en donnant des leçons d'équitation à de grands noms du music-hall : Jean-Marc Thibaut, Roger Pierre, Darry Cowl sont ses élèves. A 18 ans, il est envoyé en Algérie, obligé de photographier les cadavres de résistants algériens pour la propagande française. Il écrit une chanson antimilitariste, la Demande de permission, l'enregistre et la fait passer sur le haut-parleur d'un camion de sa caserne. Déféré devant le conseil de guerre, il écope de trois mois de cachot. De retour à Paris, il écume avec sa guitare toutes les boîtes de la rive gauche. Après le succès surprise de Qui c'est celui-là ?, Vassiliu quitte la capitale et se réfugie dans le Lubéron. Il y rencontre une ex-Miss monde hollandaise... mais mariée. Avec la complicité d'un copain pilote, il s'envole vers la villa de sa bien-aimée, atterrit au fond de son jardin et l'enlève. Fuite au Maroc, puis nomadisme en Afrique à bord d'un vieux camping-car. Dans les années 80, on le retrouve à Dakar, patron d'un club de jazz dans le quartier des ministères. Grand trip herbes, gourous et messes vaudou. Sa femme : «On est vraiment allés très loin, ç'aurait pu tourner mal.» Retour en France, sans un radis. Coluche, très grand seigneur, permet aux tourtereaux de planter leur tente derrière l'immense villa qu'il habitait en face du parc Montsouris à Paris. «Il nous a même prêté une de ses bagnoles américaines. Mais elle coûtait une fortune en essence ! Alors on la garait pas loin et on prenait le métro.» Un autre jour, il est à Cuba, où il dîne à la table de Fidel. «On était huit à table, dont Georges Marchais et sa femme, et Castro n'arrêtait pas de se foutre de la gueule de Liliane, c'était poilant !»

Et maintenant ? Après avoir touché à une multitude de genres musicaux, de la musique tsigane au jazz New Orleans, du maloya réunionnais au son cubain, Vassiliu ne manque pas une occasion d'assurer la promotion de chanteurs estampillés world music. Un Peter Gabriel du terroir. Ce qui lui permet, à l'occasion de festivals, de se retrouver sur scène avec les plus grands : Femi Kuti, Ray Barretto, Mory Kanté, Compay Segundo, Susheela Raman, Lokua Kanza...

Il y a quatorze ans, avec une bande de copains, il fonde à Mèze un festival de musiques du monde dont il est toujours le parrain. L'endroit lui plaît tellement qu'il finit par s'y installer. Laura ramène un peu d'argent en vendant des sculptures. Lui continue à écrire des chansons, qu'il enregistre parfois, lorsqu'un mécène apporte quelques dizaines de milliers d'euros. Son dernier disque, Pierre précieuses (sic), a ainsi vu le jour grâce à l'argent d'une entreprise de produits ésotériques. «J'ai dit à ma femme et à mes enfants : "Cette fois-ci, c'est bon. Si ce disque ne marche pas, je m'installe en Afrique et je n'en reviens plus !"» Personne ne l'a cru.

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Coupure de presse (29/9/1994)

Interview de Pierre Vassiliu à la cafétaria de l'Espace Vanel à Lagny-sur-Marne par Pascal Pioppi
Avec sa grosse moustache et son petit nez de fouine, l'ancien habitant de Gouvernes s'est prêté de bonne grâce aux questions un brin hésitantes et trop rapidement posées pour cette grande première me concernant.
Le chanteur venait de terminer son tour de chant et a continué certainement de fredonner dans sa tête me concernant :"Qui c'est celui-là, complètement toqué, ce mec là, complètement gaga ...". Et même Gagarine en constatant cet état d'apesanteur lié à ce premier vol lunaire suite à quelques cratères devenus au fil des questions critères de bonhomie.
Un premier voyage plus intersidéral qu'intersidérant mais à la sortie une rencontre belle avec notre Pierrot lunaire.
La phrase :" Il y a beaucoup de très bons musiciens qui ne deviendront jamais de bons copains. Des gens qui ont la grosse tête, qui ne sont pas faciles à vivre ou radins. Moi, j'adore tout partager ..."

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Interview (2003)
Le monde selon… PIERRE VASSILIU


Il a passé 44 postes-frontières ! C’est lui qui a fait le décompte. Si Pierre Vassiliu n’est pas un voyageur, qui l’est ? Chanteur à qui l’on doit certaines des plus belles balades de ces quarante dernières années (“Amour amitié”, notamment), il s’est très tôt inspiré des sonorités venues d’ailleurs. Toujours avec pertinence comme le prouve un récent et brillant double cd intitulé “Pierre Précieuses”.

« Il faut s’adapter, rester modeste, ne pas en remontrer aux autres »

Vous voyagez beaucoup, et depuis longtemps. Quel a été le déclic ?

Ça a commencé à me prendre quand j’avais 17, 18 ans. Je suis allé un jour à un bal à Paris, salle Wagram, où j’ai vu Manu Dibango dans un orchestre créole qui jouait des rumbas. J’ai été séduit par la musique et par le bonhomme. Ensuite, j’ai fait mon premier voyage important en 1958-59, en partant pour la Guerre d’Algérie. C’est comme ça que j’ai découvert les grands horizons… A mon retour, je me suis dit qu’il était impossible de rester enfermé, de tourner en rond : j’irai visiter tous ces pays que je ne connaissais pas, j’y habiterai, même. Ce que j’ai fait. Je suis donc reparti en 1965-66, pour chanter à bord du France, puis lors d’une fête à l’hôtel N’Gor de Dakar, celui que Le Corbusier a créé. Là, j’ai trouvé des gens sympa, qui rigolaient tout le temps. Je me suis dit : “ La vie a l’air très douce ici, même si c’est très pauvre. Il faudra que j’y revienne. ”

Avez-vous été sensible au mythe de la Route durant ces années ?

Oui, bien sûr. J’ai trouvé que c’était une super idée que de dire qu’il y a de la place pour tout le monde, que les gens riches ne sont pas les seuls à avoir le droit de voyager, que l’on peut circuler à moindre frais et aller dans des endroits où l’on est plus près du peuple, de la musique, là où c’est plus marrant. A l’époque, c’était le bazar dans les avions ! Nous étions des sortes de pionniers, parmi les premiers à voyager autant.

Que faites-vous en premier quand vous arrivez quelque part ?

J’aime bien arriver de nuit. Je dépose les bagages à l’hôtel et je sors pour découvrir la ville, ce qui provoque souvent de très grandes surprises. Dans certains pays, ça vit la nuit et c’est calme le jour. Au Burkina Faso, par exemple. Ailleurs, comme au Guatemala, le jour ça bastonne comme il faut, il y a de la musique partout, alors que la nuit, il n’y a rien. J’aime bien aller dans les petits bistrots pour voir les gens, même si on ne se parle pas… Je me balade en tâchant d’éviter les coins sombres – ils ne sont jamais très recommandés. Parfois je m’y retrouve involontairement. Dans ce cas, on fait connaissance, on prend rendez-vous pour le lendemain. Il n’y a qu’à demander…

Avez-vous des trucs pour éviter les mauvais plans ?

Il y a des clés, évidemment. Pour une femme, le B-A BA, c’est d’éviter de se balader en minijupe ou avec des colliers, des bagues, des trucs voyants. Il y en a beaucoup qui voyagent comme ça. Il ne faut jamais refuser quelque chose à quelqu’un qui vous le demande. Il vaut mieux trouver un mot pour lui être agréable, lui dire qu’il aura des sous le lendemain. Et si vous le recroisez, n’oubliez pas de lui donner une pièce. Le truc, c’est aussi de ne pas se faire trop avoir par la tchatche, telle qu’elle se pratique au Sénégal maintenant par exemple. C’est un pays qui est devenu terrible pour ça. Il y a trop de gens qui ont fait n’importe quoi, qui ont donné des sous à tire-larigot, en pensant que plus on donne de l’argent, mieux on est reçu. Non, c’est le contraire, on passe pour un imbécile. Il faut s’adapter, rester modeste, ne pas en remontrer aux autres.

« Ce n’est pas méchant, mais tout peut basculer d’une seconde à l’autre quand ça chauffe »

Vous préférez les pays du sud…

A part la Pologne et la Yougoslavie, je n’ai pas vu grand chose de l’Europe de l’est. Je ne suis même pas allé en Allemagne. Ce sont les pays où il y a de la musique qui m’attirent le plus, ceux où ça bouge, où il y a des choses à voir. L’Égypte, l’Inde, on s’en souvient toute sa vie, on n’en revient pas indemne. En voyageant, j’ai appris beaucoup sur la vie, la société, l’argent… En Inde, par exemple, quand vous changez mille francs, vous vous retrouvez avec un kilo de roupies dans les poches ! Ça vous fait réfléchir d’être dans cette situation.

Vous connaissez bien l’Afrique, mais l’Amérique latine et les Caraïbes aussi…

C’est très dynamique par là, ça rigole beaucoup. Mais il y a des nuits où on se dit qu’on aurait mieux fait d’aller se coucher. Haïti c’était chaud ! On entendait des coups de feu par ci, par là. Mais on n’a jamais eu d’embrouilles. Ce qui me plaît en Amérique centrale, c’est cette convivialité un peu plus folle qu’on y trouve. On a vu plusieurs fois des revolvers sur la table, un type qui tirait dans le plafond… Enfin, n’importe quoi ! Ce n’est pas méchant, mais tout peut basculer d’une seconde à l’autre quand ça chauffe. Comme en Afrique.

Effectuez-vous de courts ou de longs séjours ?

Ça dépend des fois. Au Sénégal, nous sommes restés quatre ans.

Voyagez-vous seul, en couple, en groupe ?

Avec ma femme, mais j’aime bien faire découvrir des pays à des copains, comme on fait connaître des musiques que l’on aime. Sauf que ce n’est pas facile pour tout le monde de sauter le pas, pour tout un tas de raisons.

Logez-vous à l’hôtel ou chez l’habitant ?

On a essayé les deux, mais finalement c’est l’hôtel. Même en France. Aller au bistrot, rencontrer les gens : oui. Vivre comme eux : pas toujours.

Quel type de rapport entretenez-vous avec les gens que vous rencontrez ?

On s’investit avec ce que l’on apporte. En ce qui me concerne, c’est la musique. Partout où je vais, j’arrive à jouer avec les musiciens.

Quelle vision avez-vous de l’évolution des musiques locales ?

Partout on écoute ou on fait de la disco, de la techno, du rap. Mais il y a aussi des gens qui sont contre, parce qu’ils estiment qu’en faisant ça, on perd son identité. A Maurice, par exemple, il y a moins de musiciens authentiques qu’avant. Beaucoup sont passés à l’électricité. C’est leur droit, c’est logique même. Mais je trouve ça dommage. Cela dit, d’autres font de bons mélanges. C’est le cas des Malgaches ou de certains Réunionnais comme Danyel Waro. Avec la disco on danse, mais sur place, on ne chaloupe plus. Ça c’est un truc que je regrette, c’est vrai.

« J’allais à la pêche avec les piroguiers »

Qu’avez-vous fait au Sénégal lorsque vous vous y êtes installé voilà une vingtaine d’années ?

Nous sommes allé directement en Casamance où nous nous sommes fait construire une case sur la plage. Nous avons habité là près d’un an. Je me suis fait engagé pour faire de la musique dans un hôtel proche. C’était juste pour le plaisir, parce que nous n’étions pas fauchés. J’allais à la pêche avec les piroguiers… En fait, nous ne faisions rien, ou pas grand chose. J’ai écrit quand même pas mal de chansons, comme “ Toucouleur ”. Ma femme, qui est sculpteur, a appris à travailler avec des petits fours artisanaux des environs. On lisait. C’était une vie exceptionnelle. Après ça, ma compagne, qui était sur le point d’accoucher, voulait le faire comme les femmes du coin, debout dans le bois sacré. Je n’ai pas voulu. C’est ce qui nous a amené à aller à Dakar. Là, il a fallu travailler. J’ai repris un club de jazz qui s’appelait le Mamy Flore. C’était un endroit où on pouvait dîner gambien, sénégalais et français. Nous récupérions tous les gens du coin, noirs comme blancs. La scène était ouverte. Certains musiciens qui débutaient sont passés chez nous, comme Youssou n’Dour, Ismaël Lo, les Touré Kunda… Encore aujourd’hui, j’entends des gens qui me disent qu’on a laissé des traces et qu’ils seraient bien contents que l’on revienne ouvrir un club.

Comptez-vous le faire ?

Aujourd’hui ce n’est plus possible. Il y a trop d’agressions à Dakar. C’est devenu la cour des miracles. Ça ne m’amuse plus d’aller dans des endroits où il faut se défendre. Il y a un gros problème du côté de beaucoup de Sénégalais qui sont allé en France. On a beau leur expliquer qu’ils vont y perdre des plumes… Quand ils reviennent, ils en veulent à tout le monde et notamment aux Français. Et puis, toutes les plages sont occupées, les hôtels se multiplient. Énormément de monde vient au Sénégal, à tel point que maintenant, même dans les campagnes, il faut sortir la main de la poche. C’est logique, mais ce n’est pas marrant. En ce moment, c’est le Burkina qui nous attire. Il n’y a rien à voir de particulier. C’est le Sahel, il y a beaucoup d’animaux sauvages car il y a peu de chasseurs : des éléphants, des lions, des phacochères quand on va dans le nord… C’est l’Afrique comme je l’aime : il n’y a pas de tourisme. Remarquez, la dernière fois, on a vu un petit car de Japonais. Ça fait peur, car quand on les voit arriver, ça veut dire que les portes s’ouvrent…

« Un de mes films de voyage préférés c’est “ African Queen ” »

Quelles sont les lectures qui vous ont incité à partir et y a-t-il des livres dans lesquels vous retrouvez vos sensations de voyageur ?

Quand je suis dans les pays évoqués par les bons livres de voyageurs, je suis impressionné car je retrouve ce qu’ils ont décrit… Mais souvent, je prends des claques parce que ce que l’on voit et ressent est encore plus incroyable. En Inde, par exemple. Durant mon adolescence, j’ai lu les poètes et aussi Céline, Camus, Simenon, des gens qui font voyager par leur écriture. Ensuite Jorge Amado et beaucoup de Brésiliens… Ces dernières années, j’ai offert des dizaines de fois “ L’étrange destin de Wangrin ” d’Amadou Hampaté Ba. Ça donne un bon reflet de la subtile philosophie de l’homme noir, qui n’a rien à voir avec ce que l’on en pense généralement. Un autre livre m’a marqué : “ Le sanglot de l’homme blanc ” de Pascal Bruckner. C’est infernal ce livre-là. Il traite des reproches que peut se faire le blanc par rapport au noir et de la manière dont le premier agit pour se faire pardonner quelque chose dont il n’est pas responsable. C’est très compliqué ça.

Votre bateau s’appelle Mogambo, comme le film de John Ford qui se passe en Afrique. Le cinéma vous a-t-il incité à voyager ?

Oui, tous ces films exotiques, comme ” Tarzan ” aussi, ça rentre inconsciemment dans votre esprit quand vous êtes enfant. C’est de la magie. Un de mes films de voyage préférés c’est “ African Queen ” de John Huston, avec Humphrey Bogart et Katherine Hepburn. D’ailleurs mon bateau ressemblait beaucoup à celui du film. Je dis “ ressemblait ” parce que je l’ai vendu hier.

Appréciez-vous particulièrement les voyages en bateau ?

En croisière oui. L’arrivée sur le Bosphore, c’est inouï… Récemment au Chili, nous sommes allé dans les fjords, jusqu’à la Terre de feu, à Ushuaia. J’aime bien, parce que ça permet de se reposer, d’écrire et de penser à autre chose. J’ai fait aussi un périple de vingt-quatre jours pour aller à Bombay. Il m’est d’ailleurs arrivé un truc marrant à l’escale de Djibouti. En descendant, j’ai été reconnu et je me suis retrouvé engagé pour chanter le soir dans un cabaret…

« Le bonhomme avait un oiseau de proie sur l’épaule »

Vous devez avoir énormément d’autres souvenirs de voyage. Et des forts…

J’ai des souvenirs de différentes sortes… A Dakar, il n’y avait pas un jour qui se passait sans que l’on soit au moins une fois plié de rire. Par un mot, une façon d’agir… Mais les souvenirs de rigolade sont difficiles à raconter… Tout de suite, là, il me revient des histoires étranges. A Lomé, par exemple, nous nous sommes fait baptiser vaudou, ma femme et moi. Nous étions curieux de ça car, à Haïti, nous avions loué une maison qui se situait tout prêt d’un lieu de culte. Nous n’avions jamais pu y pénétrer. La cérémonie s’est passée dans une case très très sombre. Le bonhomme avait un oiseau de proie sur l’épaule. Il nous a questionné sur ce que l’on aimerait obtenir – moi, j’ai demandé à avoir une mémoire infaillible. Il nous a donné à chacun une noix d’ébène que nous devions mettre sous notre oreiller. Nous ne sommes pas allé plus loin parce que ça nous foutait un peu la trouille… Eh bien, la nuit même, nous avons failli nous battre, nous avons fait des cauchemars monstrueux, les noix avaient changé d’oreiller… C’était de notre faute, on ne va pas se fourrer dans de telles histoires, juste pour voir, surtout si l’on est sans défense. Une autre fois, dans notre club à Dakar, des employés ont trouvé un gri-gri concernant mon fils, qui vivait alors en France avec sa mère. Ils ont fait pipi dessus pour enlever les effets, mais peu de temps après, j’ai reçu un coup de fil : mon enfant était à l’hôpital, dans le coma. J’ai pris l’avion pour Marseille et quand je suis arrivé, il s’est réveillé. Cela faisait trois jours qu’il était inconscient. Les médecins cherchent encore à comprendre ce qui s’est passé… Bon, des histoires plus réjouissantes, aujourd’hui je n’en ai pas (rires) !

Pas une, vraiment ?

Eh bien écoutez celle qui se trouve sur mon disque. Elle s’appelle “ Ma belle Sénégalaise ”…

Comment voyez-vous le monde ?

Quand on voyage, on se rend compte que les Français ne sont pas accueillants. Dès qu’on passe les frontières, ça rigole de partout. Pourquoi cet individualisme chez nous ? Pourquoi des gens se battent-ils pour une place d’auto ? Ce sont des choses qui me travaillent. Là, j’ai envie de repartir au Burkina parce qu’il y a rien, hormis les gens. J’y vais pour faire de la musique, passer du temps sympa, boire une bière en essayant de remettre les choses en question, parce que c’est toujours rigolo d’échanger des opinions. Il y a beaucoup de gens érudits au Burkina, comme à Cuba. C’est le pays qui me convient en ce moment. Cela dit, en même temps, on y est toujours sur la brèche. On est à côté du Mali, de la Côte d’Ivoire, il peut y avoir la guerre ou un soulèvement en cinq minutes de temps… Mais bon, je préfère finir ma vie dans ces circonstances, plutôt que des suites d’une de ces maladies dues au stress que l’on attrape ici.

Propos recueillis en 2003 par Michel Doussot

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Laurence Kirsch prépare un film sur Pierre vassiliu
Je vais rester sobre vis à vis de sa démarche, son regard et vis à vis de l'attention, de la tendresse que cette cinéaste porte à Pierre.
Sinon que la rencontre avec Laurence est l'un des plus beau cadeau que, sans le vouloir, sans même s'en rendre compte, Pierre m'a aussi offert!
Yves

GENÈSE DU FILM

Janvier 2012
À la plagette, quartier situé en face de la pointe courte à Sète, sont rassemblés des artistes. Ils fêtent en musique l’exposition de leur oeuvre. Parmi eux Laura Vassiliu, scuplteur. Elle est accompagnée de son mari, Pierre Vassiliu. Des musiciens savent la présence de Pierre. Ils jouent les premières notes de sa chanson « Qui c’est celui-là ? » Alors Pierre se lève. Il se dirige avec difficulté vers eux. Un irrésistible désir le conduit.
Ses gestes sont encore lents et mesurés. Il parvient à proximité des musiciens. Ces derniers sont surpris. Le visage de Pierre se détend, puis arbore un large sourire qui irradie tout son corps.
Il se redresse et murmure le début de la mélodie. Peu à peu il retrouve les mots. Maintenant il improvise. Il s’inspire de ce qu’il sait de chacun et de chacune. Il s’accorde en toute vivacité à la compagnie présente.
Je le voyais reclus et le pensais éteint.
Mais en ce moment magique où, au milieu d’amis, il renoue avec son art, il échappe au rôle que je lui avais attribué.
L’inattendue « métamorphose » me fascine, me déplace, me questionne.
Qui c’est celui-là ?

Rencontre et Point de vue

Par courrier, je lui fais part de mon envie de film. Je connais Pierre depuis 5 ans, nous vivions dans la même ville de Mèze avant qu’il ne déménage à Sète avec Laura.
«Pierre voici les quelques lignes du film que j’aimerais faire avec toi.  J’imagine un film musical, touchant, teinté d’humour et de belles rencontres où les images du passé s’entrelacent avec celles du présent créant ainsi une stratification du temps.
Je visualise ce film comme une balade dont la ballade musicale en est le poumon ; le souffle permanent.
Ta balade quotidienne dans Sète est l’ancrage du film dans son présent. Cette ville portuaire où l’incitation au voyage est quasi permanente.
Au cœur de cette balade, au gré d’une image évocatrice, au détour d’une conversation, d’un souvenir évoqué, d’une sonorité musicale s’entrelacent d’autres images, d’autres sons, ceux du passé. »

Il répond très vite.
L’envie est là pour nous deux. Le repérage commence.

Je l’accompagne au marché, à la criée, dans le quartier du Barrou quartier populaire de Sète, où il sympathise avec de jeunes rappeurs ; sur la grande plage qui longe la mer ; lorsqu’il boit un verre au comptoir de chez Lulu, ce fameux bar dans le quartier des « filles », quand il passe devant les voiliers prêts à larguer les amarres, dans le magasin de musique en bas de chez lui où sont en vente quelques unes de ses guitares. Olivier le jeune patron lui réserve son tabouret. De là il blague avec les clients et parfois il les fait chanter; nous allons aussi chez son barbier avec qui il échange uniquement en chantant.
Il y aura aussi la visite de ses amis. L’artiste Patrick Grésis, le seul à imiter les œufs aux plats ou le navet hurleur, Dominique Talma guitariste de son groupe dans les années 80 qui vient régulièrement chez lui à Séte; le jazz man Bernard Lubat…Michel Delpech.
Attentive aux gestes, à leurs regards, à leurs silences, je repère les preuves cinématographiques de l’amitié, de la complicité, de la malice qui le lie à l’autre.
Que l’autre soit une star ou un illustre inconnu, la posture de Pierre est la même. Il les maintient à distance par l’humour.
C’est de son point de vue que j’envisage de filmer son mouvement dans le monde, vers les autres.
L’humour et la chanson sont les passerelles par lesquelles il rentre en relation, mais c’est aussi un écran qui le maintient à distance.
Il est à la scène comme à la ville, en toute sincérité, sans habileté, sans volonté de tromper, juste de quoi se protéger.
Timidité, pudeur, humilité, il y a toujours de la retenu chez lui.
Y a t’il un secret à découvrir !
Comment est-il devenu chanteur ?
Qu’est-ce qu’être connu ?
Être aimé, glorifié, mais c’est aussi être situé dans un rôle, une fonction, celle d’exhibitionniste disait Brel.
Comment Pierre vit-il cette posture ?
Et qu’en a t’il fait dans sa vie ?

En 1972, 10 ans après le début de sa carrière, alors qu’il est fort bien placé dans le top 50, qu’il est invité régulièrement sur les plateaux télé, il décide de quitter Paris et le show business pour ne plus vivre au milieu de gens qui le flattent. « J’ai eu peur de tomber dans le piège » dit-il aujourd’hui.
Qu’est-ce que ce piège ?

Les archives

Pierre m’a confié ses archives personnelles, deux caisses de photos et de cassettes vidéo de 1960 à aujourd’hui.
J’ai besoin de cet éclairage du passé pour comprendre ses murmures d’aujourd’hui.

J’y découvre Eddie Barclay descendant du paquebot France dans les années 90 qui sourit très amicalement au filmeur qui est Pierre; le visage d’un chauffeur de taxi à Cuba qui chante pendant tout le trajet et qui regarde celui qui filme avec une belle complicité. Plus loin je visionne une séquence où Bernard Lubat joue du piano au milieu d’une forêt ; puis sur cette cassette le sculpteur César fixant la caméra en plan fixe, silencieux, impressionnant. Plus loin les images de sa vie en Afrique dans leur case en Casamance, une discussion de Pierre avec deux enfants sur le chemin de l’école, puis son restaurant en pleine activité à Dakar. Sur d’autres cassettes filmés par des amis, ses concerts des années 1980 à 1995 dans les petites salles de province. Dans les photographies, je trouve Pierre au côté de Brel après un concert en 1965, avec Johnny Hallyday en tournée, avec Véronique Sanson, Alain Souchon, Michel Berger et Nicoletta sa grande copine de l’époque …

Sur Inamediapro, je découvre avec plaisir tous les documents qui relatent son passage à la télévision des années 60 à nos jours.
Cela commence chez Mireille au petit conservatoire lorsqu’en 1961 il est invité à interpréter sa « Chanson de Noël ».
A l’issu du 1er couplet équivoque, Mireille l’interrompt : « on ne peut pas passer ça à 7h15 avec un microphone ».
Lui : mais c’est une chanson de Noël madame !
Mireille : « D’accord mais il y a quand même des choses que les jeunes enfants ne peuvent pas entendre. Est-ce qu’une fois j’entendrais une chanson de vous que l’on pourra passer à la radio Mr Vassiliu ! Vous avez déjà écrit « La femme du sergent » en 1958 qui n’a pas pu passer non plus!  »

En 1970, ses chansons drôles et corrosives ont conquis un large public. Reconnu et apprécié comme chanteur comique il déclare que ses chansons ne le font plus rire. Il écrit à présent des chansons tendres. La plus connu « Amour-Amitié ».
Je suis entrée dans son histoire passée comme dans la caverne d’alibaba. J’y ai traversé des époques, découvert un personnage décalé, insaisissable. Il échappe à son rôle en changeant de rôle en permanence. Pourquoi ?
Le 26 février 1972, Philippe Bouvard qui l’invite régulièrement sur son plateau de « Samedi soir » l’accueil ce jour en ces mots : « 
« Vous voyez ce garçon à moustache et à cheveux long et bien tout cela va bientôt disparaître. Il est victime d’une situation paradoxale. Il va quitter Paris au moment où Paris le découvre et s’intéresse à lui ».
C’est un « rebelle » qui quitte le territoire lorsqu’il risque d’y être catalogué. Vassiliu dérange, ceux qui le reçoivent. Animateurs télé et journalistes ne cessent de lui en faire la remarque.

En 1980, alors qu’il est catalogué chanteur marginale qui vit en Provence, il se lance avec sa femme Laura dans la rénovation d’une ancienne usine de fruits confits et la transforme en salle de spectacle. L’usine devint emblématique d’une certaine scène française indépendante.

Il n’endosse pas le rôle du chanteur marginal, ni la conduite simplifiée qui va avec. Il est complexe et côtoie des univers très éloignés. Il fréquente les stars et vit avec le peuple.
C’est ce paradoxe qu’il me plait de questionner chez lui. Cette ambiguïté qui fait toute sa richesse et lui permet de rester « libre ».
En 1983, il part avec sa famille s’installer au Sénégal. Ils vivent dans une case, puis redonne vie à un restaurant de Dakar. Il devient pour un temps gérant de ce restaurant, au fourneaux mais aussi en salle. Cependant au fond du restaurant du Mamyflor est installé une petite scène qui voit défiler Touré Kunda, Ismaël Lô, Youssou N’Dour…
Pierre y imprègne de nouvelles sonorités, écris de nouvelles chansons magnifiques mais peu connues du grand public. Ces chansons ne passent que très rarement à la radio et Pierre est de moins en moins invité à la télévision.

Lorsqu’il est invité sur des plateaux télé, il y est attendu comme chanteur de variété. On attend de lui des chansons lisses et voilà qu’il chante des chansons rugueuses qui dérangent. Est-ce pour cela qu’il y est de plus en plus rarement invité !

En février 2000 dans l’émission « Vivement Dimanche » Drucker déclare : « Voilà quelqu’un que vous aimez beaucoup, ça fait plusieurs années qu’il nous enchante avec son univers musical qui ne ressemble à aucun autre. Pierre Vassiliu est là ! BATILDACOCO. Écoutez bien les paroles, et si vous enregistrez ré écoutez vous verrez, c’est un message, un coup de gueule que les politiciens vont prendre en pleine poire ! »

Pierre fait vivre à son public un écart embarrassant et séduisant.
Il ne joue pas le jeu de l’idéologie Bourgeoise qui fait que chacun doit jouer son rôle.
Son rôle aurait été d’être le représentant que les Bourgeois se font du peuple et de faire de la culture un spectacle. Il échappe à ce rôle-là, comme à la société du spectacle.
En cela je considère que Pierre est un artiste engagé. Ce ne sont pas ses déclarations politiques qui en apportent la preuve la plus évidente, mais la manière dont il a conduit sa vie, en échappant à l’étiquetage, en n’endossant pas de rôle. Je le vois comme un funambule sur un fil, avec cette fragilité qu’il n’a pas tenté de masquer et qui aujourd’hui représente toute sa force d’artiste.

C’est du haut de cette fragilité que je veux le filmer.

Laurence Kirsch


LE FILM

Pierre a la maladie de Parkinson. Il se fragilise.
Mais il résiste.
Chaque jour il part dans Sète. Il marche et rencontre des gens, des tas de gens.
Son fort désir de rencontre m’interroge.
Que va chercher Pierre chez l’orthophoniste, le barbier, la fleuriste, la couturière, le kiné et tous ces autres inconnus ?
Pourquoi s’y rend t’il avec tant d’intérêt ?

Pour comprendre, je parcours avec lui les rues de Sète et découvre ceux qu’il côtoie et ce qui se joue entre eux.

Commence alors le film.
Vers où ces rencontres nous mènent-elles ?
Qui sont les gens touchés par Vassiliu ?

RENCONTRES

Rencontre fortuite avec un passant.

Fin de journée, les lumières des lampadaires jouent en reflet sur l’eau sombre, Pierre longe les quais, il déambule comme dans un décors. Un homme le reconnaît. Il s’adresse à lui avec tendresse.
L’homme : Qui c’est ça celui-là ? Bravo votre carrière c’est super.
Pierre avec pudeur et retenu: Merci bien.
L’homme : Qui c’est ça celui-là ? Toujours alerte C’est bien. Vous nous avez fait rêver, merci…. Qui c’est ça qui c’est celui-là, l’as toujours une drôle de tête ce mec là, formidable.
Pierre sourit avec malice et lui rétorque : « complètement gaga oui ! »
L’homme, dubitatif, marque un temps d’arrêt, quelque peu déconcerté par la réplique: Ah on le devient tous, la folie quand on l’a à la naissance on la garde jusqu’au bout et c’est une belle vie. Il y a des gens qui ne sont jamais fous et qui sont très ennuyeux. Croyez-moi !
Pierre : ça il faut bien le dire.
L’homme : « Il faut encore rêver, je suis sûr que vous avez encore des choses à dire. »
Pierre : « Je n’arrête pas d’en parler et puis je vais me marier avec … »
L’homme s’approche pour mieux entendre.
« Avec ! »
Pierre cherche ses mots puis répond : « Avec rien ».
L’homme attendri et avisé, réplique : Avec rien ! oh et bien c’est très confortable. Il y a des tas de gens qui rêvent de se marier avec rien, parce que des fois on se marie avec des choses très encombrantes.
Pierre avec le sourire : « ça c’est sûr ».
L’homme : Vous avez dû vous marier plusieurs fois !
Pierre : Oui deux fois.
L’homme : c’est bien et puis il y a tellement d’amour qui sont encore là, ils vous suivent. Ce sont des anges gardiens, ne vous inquiétez pas.
Pierre : « merci beaucoup. »
Pierre traverse la route, l’homme ému le regarde s’éloigner. « Quel personnage ! C’est sympa de voir un type comme ça, génial. Toute une vie qui passe, je ne sais pas s’il arrive encore à rêver des chansons, j’espère pour lui dans sa tête. Ça sortira, il n’y a pas de raison que ça ne sorte pas comme un trésor au fond d’un grenier. C’est vrai que sur la scène ça ne marche pas mais dans les mémoires, ça risque d’être une caverne d’alibaba, je l’espère pour lui… à bientôt !

INTENTIONS

La rencontre est le point central sur lequel s’articule ce film.
Pierre touche les gens qu’il rencontre. Il les touche en trois sens : Il les émeut, les allume, les met en mouvement.
Il reçoit en retour ce qu'il donne.
Pierre s’allume de ses rencontres.
Lui-même est affecté  par l’action qu’il provoque. Il s’en nourrit.

Attentive aux gestes, aux regards, aux silences, je filme la douceur de ces échanges, la joie qui s’en dégage. Le plaisir réciproque d’être en complicité.

La succession de ces rencontres tisse le film au présent.
D’elles émergent des témoignages.
Certains racontent comment Vassiliu a influencé leur vie, pourquoi ses chansons les ont transporté, ému, réconforté, ouvert des horizons.

Son parcours en marge du show biz attire des gens comme lui, le plus souvent marginaux.

En filigrane, ses chansons.
Ses chansons par des images d’archives ou documents sonores émergent au fil des rencontres.
Les sonorités d’aujourd’hui se mêlent à celles d’hier.
Elles creusent leur sillon, tracent une voix : celle de Vassiliu.
Par petites touches impressionnistes, images HI8 personnelles ou archives de l’INA, elles relatent la vie de cet artiste vacillant, émouvant. Elles donnent les indices du parcours de cet « hurluberlu » dans le monde du show business.
L’entrelacement du passé et du présent crée un mouvement : celui de cet homme qui se déplace sans but précis, juste pour le plaisir de se mouvoir et de se mêler aux autres, au monde.

J’imagine un film musical, touchant, teinté d’humour et de belles rencontres.
Je visualise ce film comme une balade, dont la ballade musicale en serait le poumon ; le souffle permanent.

Les rencontres

C’est l’histoire d’un artiste qui quitte la  scène et la prend avec lui dans les rues et places de la ville. Tout simplement pour continuer la vie.

Yves
Les cheveux fous comme Ferré qu’il a d’ailleurs aussi beaucoup aimé, ses yeux qui se plissent lorsque l’émotion le traverse. Il est venu de Belgique pour rencontrer Pierre.
Assis sur les quais, derrière lui passent barques, avirons, canoés.
« Ça a toujours été mon envie de le rencontrer. Je ne suis pas un fan, je ne suis pas hystérique dans une salle de spectacle mais j’aime cet homme, en lui foutant une paix royale, en ayant osé une seule fois lui dire au Sénégale que je l’aimais et que lui et Ferré c’était mes 2 piliers au niveau musical et philosophie de vie. Je suis venu pour lui expliquer parce qu’à mon avis ça fait 3 ans qu’il ne sait pas pourquoi je lui ai dit ça ! mais je suis fier et content d’être là et j’ai envie de le rencontrer et Laura aussi. J’ai quitté ma Belgique j’ai pris un avion, non qq part je suis fier d’être là. Je sais que je ne serais pas déçu. Pierre Vassiliu m'a tant apporté! L'Amour, l'Afrique et, une certaine idée de marcher dans la vie... »

Olivier
Je me souviens parfaitement, j’avais 17 ans quand j’ai découvert Vassiliu. Un copain est passé chez moi et on est parti en mobylette à 50 km de chez nous. J’ai dû partir en catimini car mes parents ne m’auraient pas autorisé à rouler si longtemps la nuit. On a fait 100 km en mobylette pour voir un type qui sortait de nul part. On avait juste entendu parlé de lui ! Le concert avait lieu dans une salle des fêtes.
ET là c’était fort, délirant, il y avait des bouffées de fumée sur scène, des pétards qui circulaient, une musique d’enfer, on en revenait pas, car pour l ‘époque c’était pas vraiment dans les moeurs.
Pendant les quelques mois qui ont suivi, j’ai senti en écoutant les disques de Vassiliu que la vie n’était pas forcément ce que l’on m’en disait, qu’il fallait que je cherche, que j’explore et les chansons de Vassiliu m’incitaient à cela. Elles m’invitaient à délirer, à défier mon cercle familiale, mon éducation, le service militaire, puisque je ne l’avais pas encore fait. D’ailleurs moi et mes pots on s’est tous fait réformer, je me suis laissé pousser les cheveux, la barbe, je me suis mis à fumer, je rêvais de voyage, de liberté. Ce qui est devenu important c’était le groupe, les pots, le délire, la défonce, il fallait prendre des risques et ne pas ressembler au monde que l’on nous proposait. Vassiliu a contribué à cela.
Je me souviens du 1er 45 tour que j’ai acheté de lui. « Tarzan n’est pas né au congo », on rigolait comme des tordus avec les pots en chantant, « Il est né au Tyrol » ça faisait un bien fou. Et puis il y a eu l’autre face du disque. Là je peux dire que ça a été un des moments les plus beaux de ma vie. Olivier marque un Silence avant de donner le titre de la chanson « En vadrouille à Montpellier ».
Le choc !
Olivier mi-gêné, mi amusé cherche en chantant les phrases de la chanson.

Sur la piste glacée de la boite de nuit à Montpellier, petite blondinette avec qui je danse, quel age peux-tu avoir, seize ans, dix sept ans ? Tes seins sont déjà lourds, mais aussi déjà durs contre moi, tu te colles tu provoques, mon sexe devient dur, il danse avec le tien, il l'enlace il l'embrasse il le presse et dans le noir superbe de cette boite de nuit ta main se pose alors sans chercher à l'endroit le plus dur et tu serres, tu serres, serres
La voix de Vassiliu se glisse dans les phrasés d’Olivier.
Tes seins sont déjà lourds, mais aussi déjà durs contre moi, tu te colles
tu provoques, mon sexe devient dur,
il danse avec le tien, il l'enlace, il l'embrasse il le presse
et dans le noir superbe de cette boite de nuit
ta main se pose alors sans chercher à l'endroit le plus dur
et tu serres, tu serres, serres
(bon, elle serre comme ça huit fois) ?

Olivier : … C’était l’érotisme, la poésie, l’apprentissage de l’amour. J’ai bu ses paroles, m’en suis imprégné, ça a produit ses effets, et puis c’est à cette époque que je suis tombé pour la 1ère fois amoureux. Elle s’appelait Béa. ON a vite embrayé sur tous ce que chantait Vassiliu et on a eu qu’une envie celle de partir en Afrique comme lui, on l’a fait.

ALAIN & LISE
Pierre est installé face à l’étang, fin de journée, la lumière est douce. Alain et Lise le salut, le reconnaissent. S’installent alors près de lui. Lise émue lui livre en bloc : J’étais contente quand je suis arrivée à mèze et que j’ai su que tu habitais à Mèze. Ça m’a fait plaisir.
Pierre gêné : ben… c’est sympa.

Pierre qui est assis à terre les sollicite pour l’aidre à se relever. Lise s’avance : c’est une histoire de contre poids ! elle lui prend les mains, il se redresse.
Pierre arrivé à sa hauteur les mains dans les siennes lui dit avec son air malicieux : on copule !
Rires
Lise joue alors le jeu et dans un léger mouvement le rapproche de lui, le redresse encore un peu et lui pose les mains sur ses hanches : on en profite hein !
Tendresse partagée.

Pierre : J’étais dans une maison de ... comment on appelle ça, dans une maison de retraite, euh enfin pas tout à fait quand même
Rire de Lise.
Alain : Un centre de ré éducation !
Pierre : Oui un peu ça aussi ! eh et puis quoi !
Alain : Ils t’ont appris à marcher !
Pierre : Euh, Je ... j’ai perdu un peu ma mémoire
Alain : Ah dans le centre ! c’est pour ça, faut pas y aller dans ces centres ils te bouffent la mémoire.

Plus loin, Lise raccompagne Pierre sur le chemin. Elle fredonne les paroles de la chanson Léna. La chanson se glisse en son dans leur phrasé.

T R A I T E M E N T F I L M I Q U E

Au tournage un équipement léger, une caméra souvent à l’épaule, un micro HF sur Pierre, me permet d’être dans son rythme, au coeur de ses échanges avec les autres.

Le tournage se déroule exclusivement à Sète. Cette ville portuaire où l’incitation au voyage est quasi permanente permettra au montage des glissement visuels et sonores dans le voyage, dans le passé.

Les rencontres
Je filme les déplacements de Pierre dans Sète.
Une caméra dans son mouvement pour saisir ses efforts et sa détermination à atteindre son but, son fort désir de rencontre.
Du cinéma direct pour saisir les instants fugaces d’humanité qui émergent lors des rencontres. Lorsqu’il « s’allume » et allume les autres au passage.
De la patience et de la persévérance pour saisir les instants heureux de connivence, d’émotion partagée.
Des plans serrés sur les visages qui se souviennent, racontent l’effet de l’artiste.

Les images d’archive
Au montage, j’extrais les trésors trouvés dans la caverne de l’INA et dans ses images personnelles. J’entrelace passé et présent, je cherche les occasions sonores et visuelles qui me permettent de glisser de l’un à l’autre.

Les Rencontres

Chez le barbier.
Yassine est Marocain. Grand gars d’une trentaine d’année, avenant et pétillant il soigne ses clients avec classe et distinction. Il en fait des tonnes. Il rase Pierre depuis 2 ans. Il a appris il y a peu que Pierre était une « star ». Depuis, il le rase à une condition : qu’il chante. Aujourd’hui c’est lui Yassine qui va devoir se lancer et chanter pour Pierre sa chanson préférée. Les sourcils crispés, il cherche dans sa mémoire la chanson qu’il va devoir interpréter. Son visage s’éclaire, il a trouvé et chante : « parole et parole et parole ... toujours des paroles » C’est de Dalila ça s’exclame Pierre. Éclat de rire générale. Pierre sort rasé de près, cheveux plaqués sur les tempes, Moussa l’accompagne jusque dans la rue.

Au poisson FA.
C’est l’unique magasin de musique de Sète, sur les quais.
Olivier en est le jeune patron. La petite 40ène, plutôt beau gosse, il a rencontré Pierre en revenant d’Afrique. Ses copains l’ont invité à un concert de Vassiliu, il y allait sans grande conviction, il en est ressorti conquis. Pierre a dans son magasin un siège qui lui est réservé. Les bons jours, il s’amuse à accueillir les clients, les installe comme s’ils étaient au restau, où leur joue un air au piano.


Arnaud Fleurent Didier est assis sur le mur qui surplombe la mer au théâtre de la mer. C’est un jeune chanteur qui déclare à propos de Pierre, « c’est mon chanteur préféré tout simplement. Toutes ses chansons m’ont bouleversé et ont pas mal influencé ma manière de faire mon dernier album. J’aime bien sa manière de mélanger les registres. Passer d’un truc très poétique, très écris, à un truc débile comme « il a pété ». Il y a tout un Pierre Vassiliu romantique, espiègle et puis inspiré avec des rimes nulles. Mais on s’en fou c’est son cœur qui chante, et ça fait mouche. Ce soir on va interpréter la chanson : « FILM », cette chanson qui n’a pas été interprétée depuis 1981 !


Alain
J’ai découvert l’univers de Vassiliu il y a seulement quelques semaines, grâce au blog d’un ami Belge, qui a crée un blog sur Vassiliu. Je ne connaissais de ce chanteur que la partie émergée de l'iceberg¨.?J’ai près de 59 ans, et il m’aura fallu tout ce temps avant de le connaître, apprendre qui il était. J’ai découvert un Chanteur-libertaire, aventurier-baroudeur, humaniste-toucouleur, provocateur, parolier engagé, homme de culture, d’une sensibilité à crever. Un poète qui ne se contente pas de mettre au jour des mots mais qui cherche à rendre évidentes les rencontres de l’humain avec l’humain. Partout, ces textes transpirent l’amour fou, la tendresse, la mélancolie, le désir, la sensualité, la liberté, l’espoir, la fraternité, l’Afrique. L’horizon d’un monde meilleur et partout ici, là,  ailleurs l’AMOUR et LA VIE, l’amour de la vie, la vie de l’amour.?Son art, ce n’est pas que les mots. Il est un poète de l’image quand il couche sur la page les zones d’ombre, les touches de couleurs irisées qui appellent à la réflexion. Oui, partout cette faculté, cette volonté de franchir les frontières et survoler le monde. Tout est possible à qui sait voir dans ses yeux. Il appelle à l’engagement, à la révolution de l’esprit pour vivre digne et rester droit. J’adore aussi quand il parle des enfants, de leurs rêves, leurs souffrances, leurs chagrins, l’injustice qui en touche certains. Aller plus loin, donner plus encore, aimer, aimer sans cesse. De sa voix douce, il crie. Avec son cœur, il donne.?Tu m’as fait un très beau cadeau. Aujourd’hui, j’écoute Pierre, je l’apprends, je le sens vibrer en moi. »

A suivre...

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Paru le 7/5/2003 (clic sur photo pour lire via le PDF)

Qui c'était celui-là ?
(Juillet 2004)

Pierre Vassiliu, 66 ans, chanteur. Ecume sans amertume les salles des fêtes de sous-préfectures après avoir couru le monde grâce aux rentes d'un hit 70's.
C'est la star de son village. Sur le port de plaisance : «Salut Pierre ! Ton bateau, tu le vends combien ?» A la terrasse du restau : «La forme, Pierre ? Je te mets la table du fond pour être tranquille ?» Lui : «C'est vrai, ici, les gens m'aiment bien. Ils sont contents quand ils me voient à la télé.» Avec son passé de champion du Top 50 banni des grandes scènes, Vassiliu aurait pu devenir aigri et triste. Dans sa belle demeure méditerranéenne, on rencontre un type drôle, imperméable à toute nostalgie. Ce soir, le chanteur prend l'avion pour Paris. Il passe sur Liberty TV, confidentielle chaîne du câble spécialisée dans la vente de voyages et les locations de villas. «C'est ma femme qui m'a poussé à accepter. Pour faire un peu de promo sur mon nouveau disque et aussi en profiter pour essayer de louer notre maison. Tous les deux, on veut retourner en Afrique.»
Installé depuis quatre ans à Mèze, village de conchyliculteurs au nord de l'étang de Thau, près de Sète (Hérault), Pierre Vassiliu a la bougeotte. A 66 ans, le voilà prêt à nouveau à tout quitter, direction le Burkina Faso. Mais avant, il a une tournée à achever. Avec des dates à Montbéron, Montréjeau, Villefranche-de-Rouergue et Cambieure. Bien sûr, ce n'est pas les Vieilles Charrues à Carhaix ni les Francofolies à La Rochelle. Financée par la Dépêche du Midi, cette tournée de seize concerts offre entrée gratuite et feu d'artifice à tout le monde. Lui n'en n'a pas honte : «Ça me fait plaisir qu'ils aient pensé à moi. C'est une tournée sur laquelle j'étais il y a vingt ans, je trouve ça sympa de renouer avec elle.»
Un has been, Vassiliu ? «Je serais prêt à gifler un mec qui dirait ça, menace Gérard Lanvin, vieux pote du chanteur à l'époque où l'acteur vendait des chaussures rue des Canettes à Paris. Les has been sont ces cons qui participent à des émissions de merde à la télé. Sortis du Loft, ils sont déjà out. Alors que Pierre, c'est un artiste magique, de la grande race des amoureux de la liberté.» Moins lyrique, mais tout aussi bon copain, Laurent Petitgirard, chef d'orchestre et président de la Sacem : «Pierre Vassiliu est l'exact contraire de ces artistes qu'on fabrique en deux mois à la télé. C'est un noble artisan du métier de la chanson, il possède le travail patient du luthier. Avec son tube Qui c'est celui-là ?, il a eu un grand coup de bol. Mais, même si sur un plan médiatique il n'a plus vécu une telle heure de gloire, il ne peut pas en être frustré, puisqu'il n'a jamais cherché à se placer dans cette catégorie.»
Paris, 1973. Un petit bonhomme à la grosse moustache et au nom étrange, pilier des clubs de la rive gauche, adapte en français Partido Alto, une samba du Brésilien Chico Buarque. Il en fait un hymne fantaisiste aux différences : «Qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il a, qui c'est celui-là ? Complètement toqué, ce mec-là...» La France s'enflamme. N° 1 au hit-parade pendant six semaines, 300 000 disques vendus en quatre mois. Pierre Vassiliu, les mêmes moustaches de Cosaque mais en plus grises, déguste son plateau de douze huîtres et rigole. «J'ai vécu une quinzaine d'années avec le fric de cette chanson.»
N'ayant jamais cherché la gloire, l'ex-star de l'Olympia sait se contenter d'un public fidèle qui remplit à chaque fois des salles de 400 places. Même s'il regrette parfois que «les radios oublient un peu trop de passer [ses] chansons», il se fiche éperdument de n'être plus qu'un nom évoquant vaguement quelque chose. D'autant plus que sa vie est une telle compilation d'histoires délirantes et rocambolesques que leur seule évocation suffit à donner du bonheur à chacune de ses journées. Surtout lorsqu'elles sont racontées dans la maison aux couleurs marocaines qu'il habite au bord de l'étang, sous l'oeil de Laura, son amoureuse depuis un quart de siècle.
Né en banlieue parisienne dans une famille bohème bourgeoise de l'entre-deux-guerres (père médecin immigré roumain, mère très musicienne), il se retrouve à 16 ans dans la rue, forcé de gagner sa vie en donnant des leçons d'équitation à de grands noms du music-hall : Jean-Marc Thibaut, Roger Pierre, Darry Cowl sont ses élèves. A 18 ans, il est envoyé en Algérie, obligé de photographier les cadavres de résistants algériens pour la propagande française. Il écrit une chanson antimilitariste, la Demande de permission, l'enregistre et la fait passer sur le haut-parleur d'un camion de sa caserne. Déféré devant le conseil de guerre, il écope de trois mois de cachot. De retour à Paris, il écume avec sa guitare toutes les boîtes de la rive gauche. Après le succès surprise de Qui c'est celui-là ?, Vassiliu quitte la capitale et se réfugie dans le Lubéron. Il y rencontre une ex-Miss monde hollandaise... mais mariée. Avec la complicité d'un copain pilote, il s'envole vers la villa de sa bien-aimée, atterrit au fond de son jardin et l'enlève. Fuite au Maroc, puis nomadisme en Afrique à bord d'un vieux camping-car. Dans les années 80, on le retrouve à Dakar, patron d'un club de jazz dans le quartier des ministères. Grand trip herbes, gourous et messes vaudou. Sa femme : «On est vraiment allés très loin, ç'aurait pu tourner mal.» Retour en France, sans un radis. Coluche, très grand seigneur, permet aux tourtereaux de planter leur tente derrière l'immense villa qu'il habitait en face du parc Montsouris à Paris. «Il nous a même prêté une de ses bagnoles américaines. Mais elle coûtait une fortune en essence ! Alors on la garait pas loin et on prenait le métro.» Un autre jour, il est à Cuba, où il dîne à la table de Fidel. «On était huit à table, dont Georges Marchais et sa femme, et Castro n'arrêtait pas de se foutre de la gueule de Liliane, c'était poilant !»
Et maintenant ? Après avoir touché à une multitude de genres musicaux, de la musique tsigane au jazz New Orleans, du maloya réunionnais au son cubain, Vassiliu ne manque pas une occasion d'assurer la promotion de chanteurs estampillés world music. Un Peter Gabriel du terroir. Ce qui lui permet, à l'occasion de festivals, de se retrouver sur scène avec les plus grands : Femi Kuti, Ray Barretto, Mory Kanté, Compay Segundo, Susheela Raman, Lokua Kanza...
Il y a quatorze ans, avec une bande de copains, il fonde à Mèze un festival de musiques du monde dont il est toujours le parrain. L'endroit lui plaît tellement qu'il finit par s'y installer. Laura ramène un peu d'argent en vendant des sculptures. Lui continue à écrire des chansons, qu'il
enregistre parfois, lorsqu'un mécène apporte quelques dizaines de milliers d'euros. Son dernier disque, Pierre précieuses (sic), a ainsi vu le jour grâce à l'argent d'une entreprise de produits ésotériques. «J'ai dit à ma femme et à mes enfants : "Cette fois-ci, c'est bon. Si ce disque ne marche pas, je m'installe en Afrique et je n'en reviens plus !"» Personne ne l'a cru.
Pierre Daum/Libé
http://www.liberation.fr/portrait/2004/07/27/qui-c-etait-celui-la_487592

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Article sur Pierre Vassiliu dans Magazine "FrancoFans" avec une photo de Léna Vassiliu, une illustration de "Les illustrations de Céline Pibre", et un texte de Sam Olivier

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